Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/188

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l’impair, de ces vers de sept et de treize syllabes qui demandent une oreille si exercée et si sûre. Il en tirait des effets insoupçonnés jusqu’à lui. Il leur faisait proprement exprimer l’inexprimable et, dans telle petite pièce d’un fini merveilleux, parvenait, je ne sais comment, à enfermer tout l’infini du rêve celte :

J’ai reçu ces nouvelles de ma fiancée — qu’elle s’est mise en chemin, un jour,

Et qu’à ma suite elle est venue dans la grande ville, — pour me chercher ou pour me revoir.

Près de l’église, pour l’attendre, — j’étais à me promener comme je faisais jadis tous les soirs ;

Et elle de passer ; mais Dieu seulement sait — si une femme regarde d’un œil froid ou aimant.

Pas une parole entre nous deux ; — mais sur-le-champ elle disparut dans l’église, comme autrefois.

Il me fallut l’attendre sur la route : — car Dieu et les saints me sont voilés.

Depuis que j’ai perdu l’amour, — j’ai renoncé au paradis de Dieu…

Que cela est d’un miel sauvage et bien breton ! Que voilà bien ces voluptés solitaires de la conscience dont a parlé Renan, ces réminiscences poétiques où se croisent à la fois toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes que pour peu qu’elles vinssent à se prolonger, on en mourrait sans qu’on pût dire si c’est d’amertume ou de douceur ! Mais tout n’était point que grâce souffrante et penchée dans le poète d’Annaïk. Au milieu de ses pièces impersonnelles, si je puis dire, comme l’élégie du Chuféré ou celle de Perrinaïk, éclatait tout à coup une note épique, la fanfare d’une strophe de colère, le