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Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/89

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traient dans un chemin creux où il fallait que l’une cédât le pas à l’autre, chaque paroisse exigeant pour son saint les honneurs de la préséance, un combat s’ensuivait. » Bousculé, piétiné, s’il faisait mine d’intervenir, le clergé des deux camps, prudemment, s’effaçait dans le fossé. C’est autour des bannières paroissiales que la mêlée était la plus chaude ; les penn-baz décrivaient de grands cercles au-dessus des têtes ; mainte cervelle explosait. Krog-gourenn, tol-skarjé, kliked-zoon[1], lamentable pancrace où les femmes, griffes au vent, suppléaient, dans un corps-à-corps suprême, leurs maris qui lâchaient pied. Mais aussi quels hourrahs, quelle frénésie d’enthousiasme chez les vainqueurs, quand un des saints « avait passé sur le ventre de l’autre » ! Devant les marques d’un si beau zèle, d’une ferveur si entière et si exclusive, le saint qui demeurait maître du champ de bataille ne pouvait moins faire que d’exaucer les vœux de ses paroissiens et de les combler d’indulgences tout le reste de l’année. Il n’avait garde d’y manquer. Le plus étrange est que ce saint, quelquefois, était le même dans les deux camps. Mais les saints bretons, héritiers des divinités d’origine aryenne, ont une puissance de dédoublement qui leur permet de revêtir les personnalités les plus diverses. La Palue possède une statue de sainte Anne qui remonte à 1543 et qui est habillée en paysanne de Plounévez-Porzay. Cette

  1. Crocs-en-jambe et colliers de force armoricains. — Par parenthèses, c’est pour mettre un terme à ces luttes sacrilèges que le clergé, feignant entre les saints rivaux des réconciliations publiques, imagina les embrassements de bannières.