Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/300

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Suzanna s’accompagnait elle-même en chantant. Sa voix n’avait plus la fraîcheur de jadis et se brisait aux notes élevées. Mais, comme harpiste, elle était incomparable. Hélas ! cette harpe aussi, qui fut l’instrument préféré des Gallois[1], cette harpe à trois rangs de cordes, spéciale à la principauté, nous n’avons plus longtemps à l’entendre, et déjà, sous les doigts fuselés de Mrs Richards, il nous semblait lui trouver la grâce inquiétante des choses surannées et qu’on sent près de mourir…

Tout marche par trois chez les Celtes. Trois est le nombre divin par excellence[2]. C’est le nombre des degrés de parenté en ligne directe : père, grand-père, bisaïeul ; c’est le nombre des plus anciennes divinités : la terre, le ciel et l’eau. Le roi suprême d’Irlande, Lugaid, a trois pères qui sont trois frères, époux de leur sœur. À la bataille de Moytura, les trois ouvriers chargés de réparer les armes de Tuatha font chacun leur travail en trois mouvements ; le héros Conall a les cheveux de trois couleurs ; la sagesse galloise ne s’exprime que par triades ou groupes de trois vers. Pour devenir barde, il fallait posséder trois disciples, passer par trois degrés, subir trois concours publics. Nul doute que les trois cordes de la harpe n’aient symbolisé à l’origine cette triple initiation, d’autant que, si les légendes disent vrai, la telyn galloise fut inventée

  1. Les autres instruments étaient l’yberdonec, la cornemuse, la conque marine et le crwth.
  2. V. sur le chiffre 3 d’Arbois de Jubainville, Revue des traditions populaires de juin 1898.