Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/128

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n’êtes point une sotte, vous ne vous y êtes point trompée. Vous saviez que ma grande amitié pour le duc ne m’aveuglait point jusque-là d’excuser la dureté de sa répression. J’écrivais en un temps qui n’avait point découvert la religion de la souffrance humaine et j’avais tout juste autant de cœur que les gens de mon siècle ; mais, quand je vous mandais le 31 juillet 1676 : « M. de Forbin doit partir avec 6.000 hommes pour punir notre Bretagne, c’est-à-dire la ruiner » ; le 3 octobre : « La haine est incroyable dans toute la Bretagne contre le gouverneur » ; le 20 : « Je prends part à la tristesse et à la désolation de toute la province » ; le 30 : « On a chassé et banni toute une grande rue (de Rennes) et défendu de les recueillir sous peine de la vie, de sorte qu’on voyait tous ces misérables, femmes accouchées, vieillards, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher » ; le 6 novembre : « Si vous voyiez l’horreur, la détestation, la haine qu’on a ici pour le gouverneur… » ; le 13 : « Tout le pauvre parlement est malade à Vannes. Rennes est une ville comme déserte ; les punitions et les taxes ont été cruelles ; il y aurait des histoires tragiques à vous conter d’ici à demain » ; le 4 décembre : « Nous sommes toujours dans la tristesse des troupes qui nous arrivent de tous côtés » ; ma fille, quand je vous mandais tout cela et bien d’autre, vous entendiez que je ne badinais plus et que je plaignais sincèrement ceux qu’en loyale sujette du roi il m’avait bien fallu d’abord souhaiter qu’on châtiât, mais non à ce point et avec cette barbarie. De bonne foi, le cœur finissait par me soulever au spectacle de tant d’horreurs : petits enfants mis à la broche par les soldats, femmes éventrées, bourgeois roués vifs, vieillards