Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/104

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chez les simples, pour qui la notion de temps reste inséparable de leur conscience individuelle. Tout ce qui échappe à cette conscience, les faits du passé le plus reculé et du passé le plus voisin, se mêle pour eux au point de ne plus se distinguer. Leur chronologie n’a qu’une mesure : c’est « le vieux temps » ou « le temps jadis ». Prigent ne s’exprimait pas d’une façon différente. Mais, tout à coup, au moment où il y songeait le moins, quand il le croyait si loin, si perdu, voilà que ce passé se rapprochait de lui, revivait, et non point d’une forme nuageuse et flottante, mais net, précis, déterminé dans l’espace et déterminé dans le temps… Tenues de Keraliès, tenues de Landrellec, convenant de Brigeat, bois de Tréhuzan, landes du Vouloc’h, moulin à vent du Guidern, tous ces noms lui étaient familiers. Il le connaissait, ce bois de Tréhuzan, avec ses beaux cônes de pins qu’on débitait à la marine, et ce convenant de Brigeat, le meilleur à dix lieues de ronde pour le sarrasin et le trèfle, et ce moulin du Guidern, haut perché sur sa motte, à la croisée de la grande route de Lannion et des petits chemins ruraux de Barnabanec et de Keraliès, le mieux exposé, le plus acha-