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Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/154

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convenantière, Hélène Loyer, femme Trémel, répliqua qu’il n’y avait rien à craindre, que le pays était sûr et que, d’ailleurs, ses trois enfants, dont l’aîné avait seize ans et le plus jeune dix, couchaient au fond de la grange, dans le même lit-clos.

— N’importe, dit l’homme. À la place de Philippe, je me méfierais.

— Tu as raison, dit Philippe, une nuit est vite passée. Je coucherai dans la grange, sur une botte de paille. Gare aux maraudeurs, s’il s’en présente !

La femme Trémel, dans la suite, ne put établir avec précision l’identité de l’interlocuteur de Philippe [1]. On voit tant de visages au cours d’une journée de batterie ! Et la fièvre où elle vivait depuis le matin, ses responsabilités de ménagère, au milieu d’un peuple de travailleurs dont il lui fallait assurer les quatre repas réglementaires et stimuler le zèle par de fréquentes rasades de cidre et d’eau-de-vie, ne lui laissaient guère le loisir de la réflexion. Enfin la conversation s’était tenue entre chien et loup, sur le seuil du logis. Le souvenir des paroles échangées ne revint que plus tard à la femme Trémel, quand des cris, au petit jour, l’appelèrent au dehors et qu’ayant à peine pris le temps de passer un jupon, elle courut dans la direction des voix et aperçut, en arrivant sur l’aire, le cadavre de Philippe Omnès se balançant aux brancards d’une charrette dont on avait fait basculer l’arrière.

  1. Les trois frères G… furent tout d’abord impliqués dans les poursuites, sur la dénonciation de leur belle-sœur, et relaxés faute de « charges suffisantes ».