Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/155

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Un bout de langue pendait sous le mouchoir à carreaux qui comprimait la bouche affreusement tordue ; la face était noire, les yeux exorbités. Preuve évidente que la victime avait d’abord été étranglée : surprise au milieu de son sommeil, on l’avait ensuite traînée sur l’aire, bâillonnée, puis crucifiée à ce gibet de fortune en introduisant un bâton dans les manches de sa veste. Et tout cela s’était exécuté si prestement, si clandestinement aussi, que les enfants couchés à deux pas n’en furent pas dérangés dans leur sommeil.

— Nous n’avons rien entendu, dirent-ils. Sûrement, si Philippe avait crié, l’un de nous trois se serait éveillé.

Le chien lui-même n’aboya pas. Jamais exécution ne fut plus silencieuse, comme jamais criminels, leur coup fait, ne l’entourèrent d’une mise en scène mieux réglée et plus propre à frapper les imaginations.

À quelques jours de là, dans la semaine qui suivit les obsèques de Philippe Omnès, la justice procédait à l’arrestation d’Yves-Marie et de Marguerite G…, beau-frère et sœur de la victime, que la rumeur publique, à tort ou à raison, dénonçait pour ses assassins. L’affaire, après une enquête qui dura plusieurs mois et qui ne réussit pas à établir la preuve matérielle du crime, vint devant les assises des Côtes-du-Nord le 16 avril 1883 et occupa quatre audiences. M. Perussel, conseiller, présidait. M. Quesnay de Beaurepaire remplissait les fonctions de ministère public. La défense était présentée par Me Lebrun, du barreau de Lannion, avocat frénétique, doublé d’un rusé compère et le plus honnête homme du monde au demeurant, que je re-