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Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/161

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cieuse et d’autant plus terrible ! Les hommes ont toujours eu besoin d’un recours céleste contre les iniquités terrestres, et ce saint Yves, en somme, incarne une des aspirations les plus légitimes de la conscience armoricaine.

De fait, la dévotion à saint Yves est restée très vive au fond des campagnes. J’imagine qu’on y aura peine à déraciner son culte. Et ce sont les campagnes, en somme, qui donnent encore quelque éclat à son « pardon » annuel. Elles emplissent dès la veille les hôtelleries de la petite ville ; leurs processions pavoisent d’oriflammes les chemins creux de la presqu’île ; sur une houle de têtes, dans le vent des cantiques, les statues voguent entre deux berges d’ajoncs dorés : tout le calendrier armoricain est venu saluer le « défenseur de la veuve et de l’orphelin ». Seule, la ville du saint, Tréguier, qui vit de lui, qui ne serait rien sans lui, boude et s’abstient.

Une rue, une pauvre petite rue, celle qui mène au Minihy, avait « sorti » quelques banderoles. Dans les autres, sur les quais, autour de la place, rien. Il pleuvait sans doute. Belle excuse ! « Nous avons craint de mouiller nos pavillons, » me dit un cafetier. Plutôt de mouiller leurs opinions, si fraîchement radicales qu’elles auraient pu déteindre. Et il fallait voir le sourire de ce cafetier — et de ses confrères ! On n’est pas encore si sot, là-bas, d’interdire les processions. Les affaires sont les affaires. Renié par ses concitoyens, saint Yves, au prix d’une petite concession à l’obscurantisme des campagnes, donne encore un bon rende-