Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/17

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comme elle, qu’elle nourrissait et dont elle se repaissait et qui ne s’arracherait d’elle qu’avec le souffle. À l’époque où elle épousa Salaün, elle ne connaissait pas Thomassin, qui naviguait sur les flottes de l’État. Dès qu’elle le vit, elle en fut jalouse, pour sa belle mine, sa tournure, cette gaillardise de gestes et de paroles qu’il avait héritée de son père, un Normand de pure race, et à mesure qu’elle le comprenait plus différent de son mari, qu’elle lui découvrait plus de sens et de volonté, sa jalousie s’exaspérait. Quand il fallut recourir à lui une première fois, ce fut un déchirement. L’idée qu’elle deviendrait son obligée lui paraissait insupportable ; elle souhaitait qu’il leur refusât ses services et, comme il leur vint en aide aussitôt, sans un reproche, sans même demander d’explication, elle sentit avec tristesse qu’elle l’en détestait davantage. Elle ne se reconnaissait plus ; quelqu’un avait pris possession d’elle qui parlait et agissait à sa place. Cependant elle ne céda point tout de suite à ce démon intérieur. C’était une âme extrêmement pieuse et sa conscience ne lui pardonnait point de payer un bienfait en ingratitude. Elle se tendit pour résister au malin ;