Page:Le Goffic - Le Crucifié de Keraliès.djvu/25

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savait laide et sans dot, sacrifiée d’avance. Les hommes qui fréquentaient l’auberge de sa tante, si elle ne les regardait pas, ne la regardaient pas non plus, cognaient sur la table pour appeler, chantaient, criaient, payaient et partaient ivres, et elle reprenait son chapelet qu’elle égrenait machinalement, en face de sa tante, au coin du foyer.

Mais elle fit attention à Salaün, dès le premier dimanche qu’il entra chez elle.

Celui-là ne chantait point et ne braillait point avec les autres. Devant sa chopine d’eau-de-vie il demeurait quelque temps, l’œil mort, puis, d’un coup brusque, il l’avalait toute, couchait sa tête sur ses bras et attendait de recommencer. Quand l’ivresse le possédait complètement, il tombait, et le lendemain, souvent, on le retrouvait dans un fossé de la route où il avait passé la nuit.

Elle se prit d’intérêt pour cet ivrogne si dissemblable des autres ; au lieu de le jeter à la porte, comme c’est l’usage dans les auberges bretonnes après le couvre-feu, elle le soutenait de ses bras, l’emmenait au grand air, l’asseyait une heure ou deux près d’elle, pour dissiper l’ivresse, et revenait seulement quand il pouvait marcher.