Christ, ne leur donna ny or ny argent, mais bien ce qu’il avoit & qu’il pouvoit donner, à sçavoir la santé, qui leur fut beaucoup plus chere que tout l’or du monde. Ces pauvres gens le remercierent, &, allans, sains & dispos, mandier l’aumône par les villages circonvoisins, publierent par tout que saint Ronan les avoit gueris par sa priere ; cela fut cause que, de tout le Leonnois, on accouroit vers luy, les uns pour luy presenter des Paralytiques, Sourds, Muets, Aveugles & autres malades, mais particulierement des possedez ; les autres pour consulter avec luy des affaires de leur conscience ; mais ces visites troublans le repos de sa solitude, il se resolut de quitter ce lieu & de chercher séjour ailleurs.
III. Il consulta l’Oracle divin en l’Oraison & fut confirmé en sa sainte resolution, pour laquelle effectuer, il se mit en chemin à travers ce pays à luy inconnû ; mais un Ange luy servit de guide. Il traversa le Leonnois, &, ayant passé le Golfe de Brest, entra en Cornoüaille, jusques en la forest de Nevet à trois lieües de Kemper-Corentin, où, s’estant arresté, il jugea le lieu propre à son dessein & commença à y bastir une petite Cellule, ce qu’il fit en peu de jours, par l’assistance que luy donna un paysan du voisiné, fort bon Chrestien & grandement charitable ; lequel, un jour, supplia saint Ronan de luy dire d’où il estoit & ce qu’il faisoit en ce pays: « Je suis (dit saint Ronan) Hybernois de nation, qui volontairement ay quitté mon pays, mes parens, mes biens & possessions pour l’Amour de Jesus-Christ, & me suis banny de mon pays, esperant pouvoir mieux luy servir, estant détaché de toutes ces choses. » Son hoste, ayant entendu cela, luy resta plus affectionné qu’auparavant & luy promit de l’assister en tout ce qu’il pourroit.
IV. Saint Ronan, ayant pris congé de son hoste, se retira dans la forest de Nevet, vaquant à prieres, jeusnes & penitence, son charitable hoste luy fournissant soigneusement ses necessitez ; mais il n’y fut gueres, que Dieu le manifesta, par le moyen de grands miracles qu’il faisoit, guerissant les malades qui, de toutes parts, le venoient trouver ; à l’endroit desquels Dieu faisoit des œuvres merveilleuses par ses merites. Les yeux chassieux de quelques Chrêtiens débauchez, ne pouvans supporter l’éclat des vertus dont l’Ame de saint Ronan estoit ornée, l’accuserent malicieusement & à tort devant le Roy Grallon (lequel estoit lors à Kemper), le calomniant d’estre Sorcier & Negromantien, faisant comme les anciens Lycantrophes qui, par magie & art diabloique, se transformoient en bestes brutes, courroient le garou & causoient mille maux par le Païs. L’Enfant d’une femme du voisné estant mort, ils persuaderent à la mere du defunt que le Saint, par ses sorcelleries, avoit tué son fils & l’amenerent à Kemper, où, en presence du Roy & de toute la Cour, elle demanda justice de saint Ronan.
V. Le saint Hermite, d’un costé, asseuré du fidelle temoignage que luy rendoit sa conscience ; d’ailleurs aussi, bien aise d’endurer quelque chose pour l’amour de Jesus-Christ, se resolut à la patience, &, ayant esté cité à comparoir devant le Roy à Kemper, s’y en alla, en compagnie des Satellites, Sergens & autres Ministres de Justice qui l’estoient venus prendre comme criminel. Estant arrivé à Kemper, il fut mis en prison ; &, le lendemain, le conseil estant assemblé, il fut mené au Palais, où les crimes dont il estoit accusé, recitez, il se purgea de tous, l’un aprés l’autre, rendant raison de sa vie & de toutes ses actions, se déchargeant de ces calomnies, lesquelles il dissipa, comme le Soleil feroit quelques nuages & broüillards ; &, pour confirmation de son innocence, & fermer la bouche à cette femme dont l’enfant estoit mort, laquelle ne cessoit de crier aprés luy, il fist apporter le corps mort de l’enfant, &, en presence du Roy, de son Conseil & de toute sa Cour fit sa priere ; laquelle finie, prenant la main de l’enfant, il