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LE MÉNESTREL

— Voilà qui est d’un bel exemple de charité et aussi de modestie, par les temps de statuomanie que nous traversons. Les amis de sir Augustus Harris avaient songé à ouvrir une souscription pour l’érection d’un monument à sa mémoire. Sur le désir exprimé par sa veuve, le produit de la souscription servira à construire une maison de refuge pour les comédiens infirmes ou malheureux. Harris, qui fut un simple au milieu d’une vie très mouvementée et un esprit pratique qui ne s’attardait pas à l’apparat, approuvera certainement du fond de sa tombe.

— Le prince de Galles, en sa qualité de premier chancelier de la nouvelle université de Galles, a promu la princesse sa femme au grade de doctoresse en musique de cette université. Le prince et la princesse portaient le costume traditionnel de docteur et semblaient fortement amusés du cérémonial, qui a été célébré avec beaucoup d’éclat. Le prince a prononcé en latin la formule d’usage : « Altissima principissa, admisso te in gradum doctoris musices et ad omnia provilegia hujus dignitatis. » Ajoutons que la princesse de Galles est déjà doctoresse en musique de l’université d’Irlande.

On vient de produire, une fois de plus, l’oratorio de Mendelssohn, Elie, au Palais de Cristal de Londres. Parmi les choristes se trouvait un amateur, M. Pountney, qui avait pris part, en qualité de basse, à la première exécution d’Elie en 1846, sous la direction de Mendelssohn. Ce vétéran est encore si bien conservé qu’il a pu venir de Birmingham à Londres pour chanter au Palais de Cristal et retourner à son domicile immédiatement après avoir célébré ses noces d’or avec cet Elie. Inutile de dire que parmi les 23.000 personnes qui assistaient au concert se trouvaient aussi plusieurs amateurs qui avaient vu Mendelssohn diriger la première exécution de son célèbre oratorio.

— Il s’est formé à New-York une société anonyme pour l’exploitation du Metropolitan Opera House au capital de 2.500.000 francs, qui est divisé en actions de 500 francs chacune. Comme nous l’avons dit, MM. Grau et Abbey sont engagés en qualité de directeurs de cette nouvelle entreprise.

— À Genève a été représentée au Bâtiment électoral, arrangé en théâtre pour la circonstance, une œuvre importante de deux auteurs suisses, MM. Baud-Bowy pour le texte et Jacques Dalcroze pour la musique. Le Poème alpestre est une sorte d’ode patriotique, de vastes proportions, avec soli, chœurs, danses et orchestre. La musdique de M. Jacques Dalcroze est abondante en inspirations mélodiques, claire sans vulgarité, originale sans recherche et remarquablement orchestrée. Les soli étaient tenus par M., Mme et Mlle Ketten, et les ensembles comprenaient les chœurs de la Lyre sacrée et de la Société du Conservatoire ; au total, avec l’orchestre de l’Exposition ; 550 exécutants sous la conduite du jeune compositeur.

— Le grand succès d’un des derniers concerts de l’Exposition de Genève a été pour la Rapsodie cambodgienne de M. Bourgault-Ducoudray, exécutée sous la direction de l’auteur, qui a été l’objet de deux bruyants rappels. Constatons en même temps que M. Gustave Doret, le chef d’orchestre des concerts, a dirigé d’une façon remarquable la symphonie en ut mineur de Beethoven, la Joyeuse Marche de Chabrier, et la Marche funèbre de M. Hugo de Singer.

— Autre correspondance de Genève. La musique à notre exposition nationale tient une place fort large ; outre les grands concerts symphoniques dirigés par M. Gustave Doret ainsi que ceux donnés par le même orchestre dans le parc des Beaux-Arts, dirigés par M. L. Rey, premier violon-solo à l’orchestre, nos nombreuses sociétés chorales et instrumentales rivalisent de zèle et d’entrain en donnant chaque semaine des auditions musicales très variées et intéressantes, soit dans l’enceinte de l’Exposition, au village suisse ou dans les jardins publics. Le théâtre poursuit une carrière très brillante. Mignon d’Ambroise Thomas, Manon et Werther de Massenet, et tant d’autres chefs-d’œuvre dramatiques se succèdent avec succès sur notre scène genevoise. L’orchestre, excellent à tous les points de vue, est dirigé d’une main ferme et sûre par le vétéran de nos chefs d’orchestre, M. Francis Bergalonne. — À partir du 22 juillet prochain, M. Otto Barblan, l’organiste de la cathédrale de Saint-Pierre, recommencera ses concerts d’orgue annuels. — L’Exposition ne serait pas complète si, outre les auditions musicales multiples, elle n’avait pas aussi fait surgir quelques compositions originales destinées à rappeler aux nombreux visiteurs les délices qu’offre aux regards enchantés le vaste champ du travail et de la paix. Nous n’en citerons que les principales : Poème alpestre, pour soli, chœurs et orchestre de M. Jacques Dalcroze ; Ode patriotique pour soli, chœurs d’hommes et orchestre de M. Otto Barblan ; Salut à Genève, marche ; au Village suisse, idylle, composition bien venue de M. H. Kling. — Mentionnons encore les concerts quasi religieux donnés avec le concours d’artistes et amateurs distingués, dans l’église du Village suisse, et qui obtiennent le suffrage des connaisseurs.

— Au théâtre de Sion (Suisse), on a donné la première représentation d’un opéra en deux actes, Fleur maudite, dont le sujet est tiré d’une légende du Valais et dont la musique a été écrite par M. Charles Hænny, directeur de l’École de musique de Sion. L’auteur était déjà connu par un premier opéra, Blanche de Mans, représenté au mois de mars 1894.

— Le gentil Portugal s’apprête, comme tant d’autres, à célébrer un de ses glorieux anniversaires. Il s’agit, en l’espèce, du quatrième centenaire de la découverte des Indes par Vasco de Gama, ou tout au moins de la route qui y mène par le cap de Bonne-Espérance. On sait que c’est en 1497 que le grand navigateur fut chargé de cette expédition par le roi Emmanuel de Portugal, et c’est cette date importante que l’on songe à célébrer l’année prochaine. À cet effet, une grande commission centrale s’est formée à Lisbonne, qui doit provoquer, de la part des artistes et des lettrés, la composition d’œuvres nationales de divers genres, entre autres un hymne de commémoration, une marche triomphale, un drame historique sur un sujet patriotique, enfin un grand opéra ou drame lyrique d’un caractère national, etc. De plus, on organisera des concerts de musique portugaise ancienne et des représentations d’œuvres de l’ancien théâtre national. En ce qui concerne l’opéra nouveau, qui, peut-être donnera lieu à un concours, un annonce que déjà plusieurs compositeurs sont à l’œuvre : M. Auguste Machado, M. Alfred Keil, l’auteur de Donna Branca, M. le vicomte d’Arneiro, auteur de l’Elisire di giovinezza, et M. Miguel Angelo. Pour nous, il nous semble qu’en cette circonstance et en dehors de toute question d’art national, il y a une œuvre qui s’impose : c’est l’Africaine, de Meyerbeer. Il sera difficile de jamais mieux faire chanter le héros de la découverte des Indes.

— On a donné, les 18 et 20 juin, au club de Lisbonne, deux représentations d’un ouvrage lyrique en trois actes, Lancha Favorita, dû à M. Arthur Marinho da Silva pour les paroles et à M. Filippe Daarte pour la musique. Les auditeurs ont fait à cette œuvre importante un accueil très brillant.

— Le gouvernement de Madrid a pris un arrêté décidant que toutes les représentations théâtrales devront désormais être terminées à minuit et demi et que l’usage abusif de les prolonger jusqu’à deux heures du matin ne serait plus toléré. Cet arrêté a été provoqué par un grave scandale qui eut lieu au théâtre Circo de Colon, à l’occasion de la première représentation d’un nouvel opéra, la Grande Foire. Le public ayant énergiquement protesté contre cette œuvre médiocre, la claque lui a opposé une résistance acharnée et à la fin la police dut intervenir.

— Jean-Sébastien Bach va avoir à Berlin un monument assez original. Guillaume ii a conçu en effet le plan d’orner l’avenue des Victoires, dans le jardin Thiergarten, de trente-deux groupes de statues qui représenteront chacun un souverain entouré de deux des hommes qui se sont le plus illustrés pendant son règne. Or, Guillaume ii a ordonné d’entourer la statue de Frédéric ii, le roi compositeur et flûtiste, d’un général et du grand cantor de Leipzig. Il est évident qu’aujourd’hui le pauvre musicien est beaucoup plus illustre que le général prussien et que Frédéric ii ne pourra se plaindre de l’avoir à son côté. Mais que vient faire J.-S. Bach dans cette galère ? Il n’a pas été « sujet » prussien, il ne doit rien à la Prusse, et sa courte rencontre avec Frédéric ii a été plutôt fortuite. J.-S. Bach est bien un contemporain de Frédéric ii. Mais quel rapport existe-t-il entre lui et le roi de Prusse, et de quel droit le place-t-on à Berlin comme une illustration du règne de Frédéric ii ? On se le demande.

— On vient d’inaugurer la statue du compositeur hongrois Franz Erkel à Békés-Gyula, son pays natal. Erkel a écrit plusieurs opéras que le théâtre royal de Budapest joue encore avec beaucoup de succès.

— Le théâtre royal de Cassel vient de jouer un nouvel opéra intitulé les Mousquetaires au couvent, paroles de M. Cassmann, musique de M. Fritz Baselt.

— Une petite plaisanterie qui nous est apportée par les journaux étrangers. M. Carl Goldmark, l’auteur de Merlin et de la Reine de Saba, l’un des compositeurs allemands de ce temps les plus en vue, a écrit aussi plusieurs œuvres symphoniques, parmi lesquelles une suite d’orchestre qui lui inspire, parait-il, une affection toute particulière, à ce point qu’il l’emporte partout avec lui dans ses voyages. Or, on raconte que dernièrement, comme il arrivait à Salzbourg, pour les fêtes de Mozart, avec l’excellent chef d’orchestre Hellmesberger, celui-ci se chargeant d’inscrire leurs deux noms sur le registre de l’hôtel où ils descendaient, écrivit ainsi celui de son ami : « Goldmark et sa suite. » Et jusqu’au départ des deux voyageurs, l’hôtelier attendit en vain « la suite » de Goldmark, pour laquelle il avait réservé des chambres. È vero ?

— Après le piano, après la mandoline, voici le tour de force du gosier. Il paraît qu’à Budapesth un certain chanteur nommé Solak a donné, à l’Hôtel Europa, une séance vocale de douze heures dans laquelle il a fait entendre, sans s’arrêter, 250 chansons. Ici, nous enverrions à Bicêtre un toqué de ce genre, et c’est assurément ce qu’il y aurait de mieux à faire.

— La Société musicale d’Odessa a ouvert une souscription dont le produit est destiné à une « Fondation Antoine Rubinstein ». Les meilleurs élèves de l’École de musique d’Odessa recevront des bourses pour pouvoir terminer leurs études et pour aller se perfectionner à l’étranger.

— Le compositeur Niccolo Van Westerhout, auteur des deux opéras, Fortunio et Dona Flor, est nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Naples, dont il a été naguère un des plus brillants élèves.

— Au théâtre Bellini de Palerme, apparition et éclipse immédiate d’un opéra en un acte et deux tableaux, Mariedda, auquel on reproche d’être par trop servilement copié, livret et partition, sur la fameuse Cavalleria rusticana, et de manquer absolument de personnalité. L’auteur de la musique, M. Gianni Buceri, est un jeune artiste élève de M. Nicola d’Arienzo. Ladite Mariedda, dont les interprètes étaient Mmes Scalera et Riso, MM. Co-