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mation avant d’arriver à convaincre la masse du public.




le monument crématoire

En quittant le Columbarium, on traverse la partie du cimetière réservée aux sépultures à venir.

Là, l’herbe grasse recouvre le sol accidenté ; deux ou trois arbres fruitiers y jettent, à certaine époque de l’année, la note gaie de leur floraison. On a, pendant quelques minutes, la sensation d’un coin de paysage normand, d’un lieu de paix, de tranquillité, de méditation.

Soudain, vous retrouvez la grande allée circulaire. De longues taches rouges, des taches sanglantes, confuses, apparaissent de loin contre la pierre. Vous avancez encore, vous descendez quatre larges marches de granit, vous êtes devant le Mur des Fédérés.

Le spectacle est impressionnant ; il semble que toute l’épouvante des guerres civiles soit écrite sur ce mur en lettres de sang. On pense au terrible passage de Dante sur l’horreur des égorgements fratricides.

Des couronnes rouges, aux dimensions colossales, portant le nom de comités ou de journaux révolutionnaires, masquent une partie de la muraille. On y lit : Aux fusillés de 1871. — A nos morts ! Ceux qui n’oublient pas ! D’autres inscriptions présentent comme des héros ou des martyrs les défenseurs de la plus détestable des causes.

Ils sont morts, paix à leurs cendres ! Le temps effacera peu à peu les haines coupables, comme le lierre, qui gagne de plus en plus la pierre, recouvrira la place où s’adossèrent, il y a vingt-cinq ans, ceux qui allaient périr.

Au-dessus du mur, se profilent à l’infini, sur l’horizon du faubourg parisien, les toits des hautes maisons, les cheminées d’usines, les nuages de fumée noire que le vent découpe bizarrement, en silhouettes magiques. En ce lointain sans cesse embrumé, la vie ardente de la grande fourmilière humaine se manifeste comme une énorme antithèse.

Malgré soi, on évoque le souvenir des hommes qui tombèrent dans ce cimetière ; l’on retrouve encore des traces de balles en maints endroits et l’on re-