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AUX PHLOX
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brillantes comme des gouttes de mercure. Ah ! que je plains ceux que délecte le coin du feu ! Je me sens forte, et fraîche et si bien ! La pluie s’anime, me baigne, m’amuse, comme je m’amusais autrefois, quand je désobéissais et, sans protection, courais d’une rue à l’autre, sous les gouttières en cataractes…

Mais je ne pense pas qu’il est triste que le passé soit mort, il ne pleure pas dans mon cœur, je ne suis pas Verlaine. J’irais, il me semble, jusqu’au bout du monde sous la douce ondée d’argent… J’irais dans la montagne, dans les sentiers glissants, sous les sapins qui secoueraient leurs branches, sous les sapins où demain pousseront les beaux champignons jaunes… J’irais aussi en bateau, par ce temps, si je n’avais qu’à m’écouter. En barque, et à l’avant ! d’où je regarderais l’étrave fendre les belles vagues grises, gonflées, au creux desquelles le bateau retomberait, frémissant. Il balancerait, ferait des sauts, des plongeons, il danserait comme un bateau ivre, comme un fou…

Et je n’aurais ni peur, ni froid, je ne serais que contente. Que la pluie est fraîche sur mon visage, qu’elle lisse comme une caresse, qu’elle est bonne, vivifiante ! Je vais souriant toute seule, et je me sens miraculeusement, tellement plus jeune et sans souci ! Et je bois l’eau qui maintenant ruisselle, je bois l’air si pur, si neuf…