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AUX PHLOX
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Mais l’adolescente qui semblait avec froideur et vélocité ne pratiquer que les fugues de Bach, l’adolescente n’allumant pas la lampe, martelait de plus en plus fougueusement les touches de bel ivoire et, à l’abri de ce rempart de notes, les larmes coulaient, coulaient comme une source. Si un sanglot s’échappait, personne ne l’entendrait. Elle préparait son « lauréat ». La consigne était sévère. Personne ne devait la déranger pendant ses heures d’étude. Elle avait deux heures pour pleurer.

Et les soirs où, au contraire, elle était trop heureuse, c’était encore la même chose.

Deux heures bien à elle pour laisser éclater sa joie, pour sa transfiguration !

Personne ne l’épierait, personne ne la dérangerait. Personne, voyant ses yeux trop éclairés, ne lui dirait :

— Mais, dans le monde, qu’est-ce que tu as ? Pourquoi parais-tu si contente ?

Le piano, c’est tout cela qu’il emportera demain ? Tout cela et tant d’autres choses.

Rien d’étonnant, si soudain le départ du vieil instrument lui fait tant de peine.

Elle ne regrette amèrement rien, Dieu merci. Elle ne regrette rien. Ce qui est fait est fait. C’est autant de pas accomplis dans la route qui la mène à l’éternité.