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LA MONTAGNE D’HIVER

qu’il n’avait personne avec qui jouer, — malicieux, François protestait :

— J’ai quelqu’un. J’ai madame Madeleine.

La caravane traversait présentement les champs pour atteindre le remonte-pente, ces champs d’où l’on apercevait le clocher se promenant sur les toits.

L’enfant imitait une locomotive et Madeleine devait le suivre à la vitesse qu’il lui imposait.

C’était tout ce qu’il exigeait d’elle, très absorbé en réalité par les jeux de son imagination. Madeleine était ravie de ce rôle passif. Elle pouvait se taire et suivre ses propres pensées, pour une fois réconfortantes. À la messe, le matin, son Missel s’était ouvert à cet épître qui chaque fois l’émouvait extrêmement. Le passage des Actes des Apôtres, où Philippe baptise l’Éthiopien. « Et ensuite, dit le récit, l’Éthiopien continue son chemin plein de joie et il ne s’aperçoit pas que Philippe est disparu ». Continuer son chemin plein de joie. Momentanément, Madeleine croit qu’elle pourra désormais le faire. Bien entendu, il lui faudra se résigner à souffrir encore et toujours, des multiples contrariétés que suscitent les jours qui passent, mais elle les envisagera différemment. Et une chose prodigieuse se produit. Elle a cessé de songer aux mauvais moments de sa vie avec Jean. Pendant qu’il était là, elle n’avait pas deviné la tendresse qu’il avait gardée pour elle malgré ses humeurs noires, et voilà qu’elle la découvre présente, attentive, vigilante et mystérieuse.

« Jean est avec moi, pense-t-elle. Tout s’arrange. Tout s’est arrangé. Et depuis l’instant où j’ai été conduite sans le vouloir devant ce costume de ski qui m’a orientée vers Louise. Tout s’est agencé comme si quelqu’un dirigeait mes pas et mon destin. À la grâce de Dieu, donc, pour le reste ! »