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LA MONTAGNE D’HIVER

gens qui avaient cessé de compter pour nous ? Pourtant, pour que la mort cessât de nous terrifier, pour que nous la regardions d’avance avec la foi et les bonheurs du chrétien, il faudrait aimer la vie, mais en être en même temps détaché ; penser toujours qu’elle n’est qu’un passage. Mais même malheureux, nous y tenons. Le connu nous séduit plus que l’inconnu dans cette voie. Est-ce cela, l’obstacle qui empêche une conception plus réelle, plus lumineuse du Dieu éternel et père ? Nous avons besoin de voir avec nos yeux. Même si nous avons la Foi et la confiance en Lui, Dieu demeure abstrait. Abstrait, malgré tous les jours où visiblement Il est venu à notre aide, nous a protégés, secourus.


La joie de la montagne soudain fit défaut à Madeleine. Elle échappa un sanglot de pitié. Elle pleurait sur elle autant que sur Maryse et sur Jean. Elle se sentit lâche. Quand elle avait parfois désiré mourir, ce n’était pas pour l’amour de Dieu, mais pour être débarrassée de ses épreuves, de ses maux. Elle avait elle aussi, souhaité la fin de la fidèle angoisse des matins qu’elle imaginait désormais sans renouveau, sans amour et sans imprévu. Des matins qui aggraveraient sa solitude, et lui apporteraient la maladie, les rides, la faiblesse, les cheveux gris, les douleurs, les membres tremblants, le cerveau ralenti, les pas mal assurés et pénibles, et en plus, toutes les sortes de peines et de malentendus qui vous assaillent à tout propos, vous brisent le cœur tant que vous êtes du monde des vivants.

Ce matin, dans la montagne, Madeleine s’était crue à jamais heureuse, et prête à tout comprendre et à tout supporter. Pourquoi ce soir cette attaque violente contre sa joie et sa paix reconquises ? Pourquoi cette sensation de