Aller au contenu

Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
174
LE PRÉSENT.

teint le sentiment et la poésie du fabliau normand que je vais vous transcrire entièrement ; c’est la meilleure manière d’en parler.


LA FAUVETTE DU CALVAIRE

Aux amis de M. M… qui me conseillaient de lui rendre visite pour le consoler d’un grand malheur.


Oh ! non, je n’irai pas, sous son toit solitaire,
Troubler ce juste en pleurs par le bruit de mes pas ;
Car il est, voyez-vous, de grands deuils sur la terre
Devant qui l’amitié doit prier et se taire :
       Oh ! non, je n’irai pas.

Lorsque de ses douleurs, le blond fils de Marie,
Mourant, réjouissait Sion et Samarie,
       Hérode, Pilate et l’Enfer ;
Son agonie émut d’une pitié profonde
Les anges dans le ciel, les femmes en ce monde,
       Et les petits oiseaux dans l’air.

Et sur la Golgotha, noir de peuple infidèle,
Quand les vautours, à grand bruit d’aile,
       Flairant la mort, volaient en rond ;
Sortant d’un bois en fleurs au pied de la colline,
       Une fauvette pèlerine
Pour consoler Jésus se posa sur son front.

Oubliant pour la croix son doux nid sur la branche,
Elle chantait, pleurait et piétinait en vain,
Et de son bec pieux mordait l’épine blanche,
       Vermeille, hélas ! du sang divin ;
          Et l’ironique diadème
Pesait plus douloureux au front du moribond,

Et Jésus, souriant d’un sourire suprême,
       Dit à la fauvette : À quoi bon ?…
À quoi bon te rougir aux blessures divines ?
Aux clous du saint gibet à quoi bon t’écorcher ?
Il est, petit oiseau, des maux et des épines
Que du front et du cœur on ne peut arracher.
       La tempête qui m’environne
       Jette au vent ta plume et ta voix,
Et ton stérile effort, au poids de ma couronne,
Sans même l’effeuiller ajoute un autre poids.