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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/213

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LA ROSE DU BENGALE.

mais ; aux yeux de Marietta, Albert était le plus beau garçon du monde ; c’est tout simple : ils s’aimaient.

La première fois que je vis la jeune fille, elle me fit l’effet d’un rayon de soleil, elle m’éblouit ; je me hasardai à la regarder de nouveau, et peu à peu je m’habituai au rayon de soleil. Figurez-vous un grand œil noir, velouté et langoureux, d’où partaient des flammes ; saint Antoine aurait succombé. Ses paupières, en s’abaissant, dessinaient sur sa joue légèrement rosée l ombre mobile de ses longs cils ; sans trop d’efforts on les aurait tressés. Son nez droit semblait vouloir devenir aquilin, et sa bouche, rouge comme une grenade en fleur, s’entr’ouvrait à demi pour sourire en se relevant aux deux coins des lèvres. Les bandeaux noirs de ses cheveux brillaient d’un reflet bleu. Ses mains eussent fait envie à une duchesse, et son soulier de satin rappelait la pantoufle naine de Cendrillon. Le cou, les épaules, le sein déjà mûr, avaient le charme d’un marbre de Pradier. Pour avoir une idée de sa taille, il eût fallu la voir valser ; elle se penchait, elle se pliait, elle se relevait, elle ondulait, elle bondissait, comme si la musique eût versé dans tout son corps ses langueurs et sa hardiesse ; elle aurait, je crois, dansé sur des épis sans les courber, tant elle était légère, aérienne ! Que de grâce elle avait de la tête aux pieds, dans le moindre pli de sa robe ! Sa voix chatouillait l’oreille et remuait le cœur. Marietta était vive, fière, spirituelle ; mais son miroir lui avait raconté sa beauté, et elle d’être crédule et d’en abuser.

J’en serais devenu fort amoureux, si, la veille, je n’avais pas laissé mon cœur je ne sais où.

Marietta avait dix-sept ans et paraissait en avoir vingt, étant grande et bien formée. Fruit tombé de l’arbre de l’amour, elle était venue au monde avant que ses parents eussent eu le temps de se marier. La mère était une comédienne espagnole ; quant à son père, c’est sans doute un secret de comédie. Aussi, élevée loin du foyer domestique, Marietta manquait-elle de ces douces vertus dont toute mère dote sa fille, et ne connaissait-elle que ses caprices.

Albert l’aima comme il respirait : c’était toute sa vie. Il en perdit le sommeil, l’appétit et le bon sens ; mais ne le plaignez pas, il devint le plus heureux des hommes. Les fous ne sont pas toujours des infortunés. On est heureux, voilà tout : pourquoi ? On l’ignore, et, dès qu’on en sait la cause, le bonheur s’en va, l’amour s’envole.