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CRITIQUE.

La véritable force, la véritable vie de la féodalité est même renfermée entre les limites de ces deux dates posées par M. F. V. Hugo. Jamais la féodalité, pouvoir aristocratique s’il en fût, ne fut plus puissante qu’aux xe et au xie, sous les quatre premiers Capétiens. Après eux, elle ne fera plus que décroître sous les coups réunis de la monarchie et des communes, germe du tiers État. Il faut donc reconnaître que les quatre éléments co-existent ensemble avant Philippe le Bel, et même que la théocratie, ou, si l’on veut, que le pouvoir sacerdotal n’a point toujours été prédominant. À un moment, il a été primé par la monarchie ; à un autre, par l’aristocratie. Quant à la seconde période, qui va de Philippe le Bel à la bataille de Morat, et qui, dit M. F. V. Hugo, fut le triomphe de l’aristocratie, il faut bien voir aussi que la royauté et la papauté n’y furent point muettes, immobiles, sans force et sans voix. Charles VII, en établissant l’armée permanente, créait la force de la monarchie. Il ne se faisait point faute de faire coudre dans un sac le bâtard de Bourbon et de le jeter à la rivière. Assigner enfin pour date de mort à la puissance de l’aristocratie la bataille de Morat, n’est pas plus conforme aux véritables données de l’histoire. L’aristocratie vaincue en effet sous Louis XI, soumise sous François Ier et Henri II, releva son pouvoir avec les guerres de religion. Il y eut un laps de temps de quarante années, pendant lesquelles les la Trémouille, les Rohan, les Condé, les Guise, les Lesdiguières et tant d’autres furent plus maîtres chez eux que le roi. Il fallut toute l’adresse de Henri IV et toute la fermeté de Richelieu pour les dompter. M. F. V. Hugo sait ces choses aussi bien que moi, pourquoi semble-t-il les ignorer ? Pour le plaisir de bâtir un système ? De mettre son nom au bas d’une petite construction historique ? Il ne serait pas bien difficile de démontrer que, depuis le 10 août, la démocratie a eu des temps difficiles à traverser, et qu’elle n’a point toujours été aussi incontestablement dominante qu’il plaît à M. F. V. Hugo de l’affirmer. Je crois en avoir fait assez pour démontrer le vide de ces affirmations. Je ferai un autre reproche à l’auteur. Toutes ces affirmations, toutes ces ambitieuses théories ne sont nullement la conclusion naturelle de sa monographie sur l’lie de Jersey. Elles n’ont point seulement le tort d’être fausses, elles ont encore celui d’être déplacées. On ne s’attend nullement à voir, après les quelques pages très-simples sur une petite île de l’Océan, cette sorte de prophétie et de prédication sur le passé, le présent et l’avenir de l’humanité tout entière. Cela détruit l’unité de la composition.

Après avoir fait ces reproches à M. F. V. Hugo, il m’est agréable de louer en lui un esprit vif, élégant et chercheur. Ce fils de poëte ne craint pas les vieux manuscrits, et de déterrer un vieux texte, et de pâlir sur une étymologie. Il a en lui tous les instincts et toutes les qualités d’un érudit jeune et distingué. À propos d’étymologie, je crains que l’ardeur démocratique n’ait fourvoyé un moment M. F. V. Hugo. Les gentilshommes, dit-il, en prenant ce titre orgueilleux, semblaient prendre pour eux toute beauté, ainsi que toute richesse et toute puis-