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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/314

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LE PRÉSENT.

chose un regard froid et sûr, et ce progrès même de sa raison se tournait contre lui. Quand avait-il eu plus besoin des consolations de l’imagination ? Lui qui était venu au monde pour un bonheur certain, il se trouvait seul, pauvre, dans une prison nue, en face de la mort qui s’approchait. Nul ne songeait plus à lui sur cette terre ; Marguerite l’avait trahi ; Clotilde l’avait oublié sans doute, puisque lui-même avait répudié son amour ; le cœur de sa mère était le seul qui eût conservé son souvenir, et ce cœur allait être brisé par la triste nouvelle de son exécution. Il restait de longues heures, abîmé dans ces douloureuses contemplations, et souvent les étoiles s effaçaient au ciel quand il se jetait sur son lit, fatigué, malade, et les joues inondées de larmes.

Enfin le cinquième jour, vers onze heures, le capitaine entra.

— Vous venez me chercher cette fois, capitaine ? dit Georges.

— Oui, prince.

— C’est bien, je suis prêt. Où me conduisez-vous ?

— Monseigneur, j’ai ordre de vous remettre aux mains du général Griboff, qui attend dans la cour.

— Marchons alors.

Le capitaine précéda Georges, le chapeau à la main ; dans la cour en effet ils trouvèrent le général qui s’inclina devant le condamné. Une voiture était là, toute prête ; un escadron de dragons devait servir d’escorte. Georges monta, le général se plaça auprès de lui, et la voiture et l’escorte partirent au grand trot.

— Où me conduisez-vous, général ? demanda Georges.

— Au Champ de Mars, répondit le général.

— Comment se porte Ostrowki ?

— Mieux, beaucoup mieux, prince.

— Et Roczakoff ?

— Je ne saurais vous le dire.

Ils gardèrent le silence ; la voiture roulait avec rapidité sur la ligne des quais de la rive gauche. Ils passèrent devant les Invalides ; quelques tours de roue de plus, et Georges descendait près de l’École militaire. Une division tout entière, ainsi qu’il était dit dans l’arrêt de condamnation, était là sous les armes ; en avant, un peloton de douze sous-officiers commandé par un colonel se tenait immobile, les armes hautes. Georges s’avança résolûment de ce côté ; on voulut lui bander les yeux ; il s’y refusa.