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Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/316

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LE PRÉSENT.

Georges la rappelèrent à la vie. En revenant à elle, elle se jeta à son cou.

— Cruel ! tu voulais mourir ! Tu ne savais donc pas que c’était me tuer ?

— Tu m’aimes donc, Clotilde ?

— Ne te l’ai-je pas dit déjà, Georges ? Ne t’en souviens-tu donc plus ?

— Je m’en souviens, mais qu’est-ce que cela prouve ?

À ces dures paroles, il rejeta Clotilde loin de lui sur le canapé.

— Que t’ai-je donc fait, mon ami ? s’écria-t-elle en versant d’abondantes larmes. T’ai-je offensé sans le vouloir ? Eh bien ! pardonne-moi.

Elle approchait son front blanc des lèvres de Georges. Il prit dans ses mains cette tête charmante, la regarda longuement avec émotion, et y laissa glisser un baiser.

— Ah ! tu es douce, et belle aussi, toi ! Je pourrais donc encore être heureux !

Cette exclamation échappait à Georges malgré lui. Auprès de Clotilde, douée de tant de jeunesse et de grâce, il sentait avec étonnement revivre en lui le souvenir de son premier amour. Immobile devant cette fraîche figure de jeune fille qui lui souriait à travers ses larmes, il se reprenait à vivre et à croire au bonheur. C’est qu’il n’avait pas vingt ans, et qu’à cet âge heureux il n’y a pas de longs désespoirs. La fleur d’espérance résiste à plus d’un orage avant de laisser s’envoler au vent sa dernière feuille. Les jeunes gens ne le peuvent pas, ils ont cet orgueil de croire à l’éternité de leurs douleurs d’un instant ; mais les vieillards et les hommes faits le savent.

Le reste de la journée se passa donc pour Georges dans un indicible état de tristesse et de joie, de tendresse et de froideur à l’égard de Clotilde ; il se sentait enveloppé par moments dans une si chaude atmosphère d’affection et de soins ; madame de Lautages était si prévenante et si affable, Clotilde si douce et si aimante qu’il oubliait parfois sa souffrance ; par moments aussi sa douleur revenait l’assaillir avec tant de force qu’il tressaillait comme un homme réveillé en sursaut et sortant de la vie des songes pour rentrer dans la vie réelle.

Le lendemain Georges, avec madame de Lautages, alla remercier l’empereur. Non-seulement, en effet, il avait signé sa grâce, mais c’était lui qui, voulant avoir pour la clémence un prétexte que l’obstination de Georges lui refusait, avait fait prévenir la marquise.