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LE PRÉSENT.

l’abbé Goeschler : homme d’un rare mérite, aujourd’hui calomnié par les habiles, et délaissé par les puissants. Du collége Stanislas, M. Gratry passa à l’École normale, en qualité d’aumônier, et y fit amitié avec M. Vacherot, directeur des études. Études communes, savoir-vivre, élévation morale du caractère, tout les rapprochait et semblait devoir les maintenir unis. Cependantils se séparèrent avec éclat, et ce fut M. Gratry qui prit l’initiative de la rupture. Il donna sa démission d’aumônier de l’École normale, et accusa M. Vacherot de panthéisme. M. Vacherot fut mis en disponibilité, et M. Gratry devint vicaire-général de monseigneur l’évèque d’Orléans. Il ne tarda pas à abdiquer cette dignité pour entrer dans l’ordre des oratoriens, où il attire chaque dimanche un nombreux auditoire autour de sa chaire, et où il a achevé, sinon composé, ses beaux ouvrages que nous annonçons, et dont il nous reste à indiquer sommairement l’esprit et la portée.

L’Étude sur la sophistique contemporaine contient en germe tout M. Gratry. C’est un de ces livres heureusement nés, où isont réunis et la force de la pensée et le don de bien dire. Qu’est-ce que l’infini ? se demande l’auteur. Est-ce la pensée fléttante et indécise, la volonté sans objet, la matière ébauchée et sans formes plastiques ? Non certes. Toutes ces choses sont le premier bruissement de la vie, au lieu d’en être la pleine réalisation. L’infini est la perfection et la détermination suprême ; immensité, plénitude de vie, souveraine perfection. Et c’est au nom de l’infini, ainsi interprété, que M. Gratry accable M. Vacherot. Le savant historien de l’école d’Alexandrie semble quelquefois prendre le terme infini dans le sens d’indéfini : d’où la conception d’un Dieu indéterminé, sans activité créatrice et sans providence, qui révoltait la foi du père Gratry.

La Connaissance de Dieu est le commentaire du célèbre argument de saint Anselme et de Descartes : nous avons l’idée de l’infini, or toute idée a un objet ; donc l’infini existe. Et qu’on ne dise pas qu’il y a beaucoup d’idées sans objet. L’homme peut séparer ou réunir, mais non créer ; l’esprit de l’homme ne saurait ètre plus riche que la réalité.

La Logique développe trois méthodes : l’induction, la méthode mathématique, le syllogisme. L’induction marche des phénomènes aux lois, et des lois aux forces. La méthode infinitésimale écarte le variable et le contingent pour saisir la loi. Le syllogisme expose dogmatiquement la vérité déjà acquise. Ce livre, dont nous ne pouvons analyser l’abondante doctrine, nous paraît être le meilleur des livres de l’abbé Gratry. Le style est ferme, nerveux, éloquent, la pensée haute, la science profonde. En vérité, toutes les sécheresses du métier et du sujet ont disparu, grâce à l’esprit de l’auteur, à l’agilité de sa parole, à la finesse de ses railleries. Quelquefois même le logicien s’emporte ; mais ce sont les emportements d’un contemplatif sans amertume. Il conseille de ne pas saluer les panthéistes. Que les disciples de Hegel se rassurent : ce n’est qu’une saillie de lettré.

Le Traité de l’âme nous a semblé accuser quelque fatigue. Ce n’est pas qu’on