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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/131

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CHRONIQUE.

sa plume d’excellents appointements. Il n’a jamais gagné plus de quatre mille francs le brave homme, et encore n’est-il arrivé à ce chiffre que l’année de l’Exposition universelle. Déduisez ses frais de voiture, fort considérables pour lui, puisqu’il ne pouvait marcher. Il n’a jamais, les autres années, gagné trois mille francs. Je me rappellerai toujours avec quelle joie d’enfant il m’annonça un soir, le jour de la première représentation d’une pièce de M. Augier au Gymnase, que la feuille lui était payée deux cent quarante francs, et non plus deux cents. Nous n’en avons point reparlé, et je ne sais s’il fut augmenté depuis ce temps-là ; mais qu’on rapproche ce chiffre de ses articles, qu’on fasse le calcul, et l’on verra s’il avait vraiment de quoi vivre. Et encore lui arrivait-il quelquefois de terribles désagréments ! Le caissier de M. Buloz le payait sur copie. Une page des siennes valait une page de la Revue ; il en portait ou trois, ou quatre, ou cinq, quelquefois six échangeait contre des écus, et il allait bien vite chez un créancier. Une fois, il écrit petit à petit, au fur et à mesure de ses besoins, un long article intitulé : Mœurs et devoirs de la critique. Il en a touché le montant, il attend la publication, quand M. Buloz l’appelle. L’article ne passera pas, il est trop violent. Plein de tristesse et la rage au cœur, Planche recommence, touche encore l’argent. Nouveaux obstacles ! C’est un troisième article que l’on imprime, celui-là même qui a provoqué la lettre de M. Janin, celle de M. Cuvillier Fleury, et qui aurait bien pu éveiller la verve de M. de Pontmartin — son lieutenant, disait Planche avec un certain dédain. Le pauvre homme était dans une inquiétude mortelle ; il se trouvait redevable des articles payés et non admis. Il n’en dormait pas. Les craintes étaient sans doute chimériques, et M. Buloz ne lui aurait jamais rien réclamé, mais ces affaires d’argent le tourmentaient beaucoup. Il avait fait un rêve. Il espérait vendre ses œuvres complètes, il comptait encore à ce propos sur le bon vouloir de M. Edmond Texier ; il se disait que peut-être il arriverait à un chiffre nécessaire pour acquitter certaines dettes, et aller passer six mois à la campagne. « Buloz m’a promis de me payer double un roman : c’est-à-dire quatre cent quatre-vingts francs la feuille. Je mettrai là tout ce que j’ai. Ils veulent que je fasse un livre, mais qu’ils m’habillent, qu’ils me logent, qu’ils me nourrissent, et nous verrons ! » Ce roman ne fut jamais commencé, et jamais il ne put passer huit jours à la campagne, au bord d’une rivière, au milieu des roses. Il aimait du reste modérément ces plaisirs paisibles ; je voulais un jour l’emmener à Frênes ! « Allons cueillir des pâquerettes. — Des pâquerettes ! des pâquerettes ! Est-ce que je puis me mettre à l’ombre d’une pâquerette ? » Il est de fait que ce colosse eût été peu à l’abri sous la fleur innocente, et j’aurais mieux fait de lui proposer autre chose.

Il était donc pauvre, mais pauvre comme Job. Au lieu de l’enrichir, son nom lui devenait coûteux. Il se plaignait souvent de l’inconvénient qu’il y avait à être connu. Sans cela, il eût pu dîner dans une table d’hôte à tant par mois, écono-