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LE PRÉSENT.

mie certaine ! On y mange à meilleur marché qu’au café. Mais la notoriété ! tel était le mot qu’il avait trouvé. Ce n’était pas la réputation, la gloire, mais la notoriété, cette méchante notoriété qui l’empêchait de manger tranquille. On se le montrait, on le jugeait tout haut, on pouvait même l’insulter : c’était insupportable ! Il ne pouvait pas même vivre comme un étudiant. Il logeait pourtant en garni, dans une chambre que les grisettes du quartier latin auraient trouvée bien vilaine et bien triste. Longtemps il habita, rue des Cordiers, 14, le fameux hôtel Jean-Jacques, où Balzac fait descendre Lucien de Rubempré, où M. Sandeau et madame Sand, Hippolite Bonnelier ont, je crois, demeuré. Il payait vingt-cinq francs sa mansarde. C’est là qu’il était encore quand il fit les articles sur Cousin et sur Lamartine. Triste existence qu’il menait alors ! Le matin, par les temps clairs et froids, à cinq heures, il se levait pour échapper aux visites de quelques créanciers importuns. Il avait peur d’eux, comme un enfant d’un maître. Il partait, appuyé sur sa canne, pour le Luxembourg, et là, triste, mourant de froid, il s’asseyait sur un banc ; les gardiens le regardaient avec pitié, peut-être avec défiance, et le sommeil venait le saisir, un sommeil fatigant, difficile, pénible. À huit heures, il prenait le chemin de la rue de Fleurus, frappait chez un peintre nommé Leslinaff ; on jetait du bois dans la cheminée, et le pauvre homme se réchauffait.

Son frère, un digne et excellent homme, était plein pour lui d’égards et de bontés. C’est lui qui avait meublé la tour, et qui se trouvait toujours là pour soulager les douleurs du malheureux écrivain. Mais Gustave Planche hésitait à frapper à la porte de sa famille, et après comme avant son départ de la rue des Cordiers, il se trouva souvent en peine pour reposer sa tête et passer la nuit. La crainte des créanciers le poursuivait sans cesse. Un jour il se rend aux Français, sans argent pour le moment, sans un logement pour la nuit. Il avait peur des visites à son domicile. Il s’assied à l’orchestre, à côté d’un ami, d’un de ces vieux amis à qui l’on est presque heureux d’emprunter, parce qu’ils sont heureux de prêter. Voilà notre grand critique bien riche ; il a un louis dans sa poche. Il est fort tard, près de minuit ; il s’agit de trouver un gîte. À cette époque le Palais-Royal était entouré de masures ; des rues étroites, sombres et tristes venaient aboutir à la place. À peine des lanternes sales pour éclairer les coins. Il sonne à quelques portes. Plus une chambre, plus un lit. Enfin, il frappe de sa grosse canne dans les volets d’une maison borgne. On lui donne un lit, — ce sera trois francs. U paie, et reste un mois à trois francs la nuit. C’était cher, mais aussi comment faire ? Jamais il n’avait trente francs pour payer d’un coup. Il passait pour un voyageur. Mais personne ne le savait là, on ne s’aventurait pas dans ces rues dangereuses, on n’avait pas même inscrit son nom sur le livre d’hôtel. Une nuit, il dormait de son bon sommeil, quand il entend frapper à sa porte. Le brave homme se met en colère. Quel est le malotru et l’impudente qui le réveille. « Au nom de la loi, ouvrez ! » dit une voix grave. Il se lève plus mort que vif. « Qui êtes-vous ?