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CHRONIQUE.

dit le commissaire en montrant son écharpe. Votre nom est-il sur le livre ? « Voyez-vous d’ici l’écrivain entouré d’agents de police, questionné, surveillé, forcé de dire son nom, d’avouer sa misère, et encore ne le croit-on pas sur-le-champ. Il montre sa plume et ses papiers, tout son bien, le pauvre grand homme. Peut-être pense-t-on qu’il est là pour ses vices. Enfin, on le laisse ; il s’habille, reprend sa redingote, sa plume et ses papiers, et le voilà courant la nuit, comme un forçat qui fuit du bagne.

Dans un autre hôtel, il était si craintif, qu’à la fin du mois, quand tombait la quinzaine, après avoir bu son café dans les tasses que portait le marchand de vin du coin, il les rinçait lui-même, de peur que cette besogne n’ennuyât le garçon, que la mère Honoré, la célèbre propriétaire, ne songeât à demander de l’argent. Puis il s’étendait tout souffrant sur son lit, et se faisait lire le livre dont il devait rendre compte.

Le grand critique ne parlait jamais politique. Il se piquait pourtant d’audace, et n’était jamais si content que quand on lui disait : « Savez-vous, monsieur Planche, que tel passage de votre dernier article est bien hardi ? » Il souriait de ce sourire jeûne, ou plutôt enfantin, qui éclairait parfois sa bouche petite et fine.

Dans son article sur Brizeux, il avait parlé de César ; des phrases innocentes comme l’enfant qui vient de naître ! « Eh ! eh ! faisait-il en se frottant les mains et lançant son coup d’œil vague dans l’espace, on pourrait bien se fâcher là-haut ! »

Plusieurs fois, m’a-t-on dit, on lui offrit des emplois dignes de lui avec de véritables appointements. Il était sauvé. On payait les dettes, on allait à la campagne, on faisait le roman. Mais restait-il indépendant ? Pourrait-il parler à sa guise de certains hommes, dire son sentiment ? — Encore un mot dont il usait souvent, « Pourrai-je dire mon sentiment ? » Il réfléchissait deux minutes et poussait un soupir. Pour se consoler, il causait médecine avec un de nos bons amis, le médecin Collineau ; c’était sa grande prétention ! Il avait commencé, comme on sait, des études médicales, et son bonheur était de parler sciences naturelles, anatomie, pathologie, et le reste. Entre nous, je crois qu’il n’y connaissait rien. Du reste, il était moins instruit qu’on a pu le croire. Quoiqu’il s’amusât encore à nous poser de petites questions embarrassantes, à nous demander des détails sur Jason à propos de M. Legouvé et de sa tragédie, il avait oublié le grec, et ne se souvenait guère du latin. C’était déjà beaucoup de savoir le français. Il eût bien tenu sa place à l’Académie. Et comme il y songeait ! c’était sans doute pour la gloire. C’était aussi pour les jetons ! « Quinze cents de jetons ! On me mettra au Dictionnaire, un billet de mille francs. Voilà presque une rente. » Chaque fois qu’un immortel mourait, il parlait du fauteuil vacant. « Mais, disait-il, je n’aurai qu’une voix, une ou deux, » et il disait les noms. « Comment Cousin, Villemain, Lamartine et tant d’autres voteront-ils pour moi, depuis que j’ai dit sur eux mon sentiment ? » Il avait sans doute raison, et l’on n’insistait pas.