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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/245

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REVUE DES COURS PUBLICS.

leure pour nos maîtres en sculpture, et ils ont toujours fait mieux qu’ils ne croyaient quand ils l’ont suivie. Je serais complètement de son avis, — bien que je me sache fort inexpérimenté en pareille matière, — s’il ne me paraissait un peu sévère pour l’art chrétien. Il ne veut pas voir revêtir de la beauté plastique et vitale les figures consacrées du catholicisme, dans lesquelles le corps ne doit, dit-il, paraître que comme vaincu, brisé même par l’esprit. Évidemment, la contrition chrétienne ne peut, pour s’exprimer, emprunter les formes splendides de l’Apollon du Belvédère. Mais la Madeleine de Canova, toute pénitente qu’elle est, est encore éclatante de beauté. Son corps et sa nudité sont grecs, et « les austérités du repentir n’ont pas encore eu le temps de l’exténuer. » L’esprit ne l’a donc pas vaincue tout à fait : elle échappe heureusement à cette théorie sur l’art chrétien, que je n’admets qu’en hésitant, et que Simart lui-même me paraît n’avoir pas complètement adoptée. Je n’en voudrais pour preuve que sa Vierge avec Jésus enfant, placée aujourd’hui dans la cathédrale de Troyes. La vie et la beauté sculpturale y éclatent au milieu même de la mansuétude chrétienne. Il me semble que c’est dans l’habile mélange de ces deux sentiments, l’humilité et la force, que l’art catholique a chance de rencontrer le beau.

Mais ce sont là des exceptions dans les travaux de Simart. C’est sa Minerve, ce sont ses frises du château de Dampierre et ses deux groupes de Cariatides jumelles du pavillon du Louvre qui sont et resteront son œuvre la plus durable. La Minerve a soulevé des critiques nombreuses. M. Lévêque lui donne des éloges fort sagement motivés. Si ses autres ouvrages n’ont, pour ainsi dire, obtenu que des louanges, c’est que Simart s’inspirait uniquement de Phidias et qu’il avait toujours sous les yeux ces chefs-d’œuvre dont M. Lévêque a été et est encore un des plus enthousiastes historiens. Cela justifie les succès du sculpteur qui consuma presque toute sa vie dans la pensée constante d’atteindre cet art achevé qui n’a jamais été surpassé par nos sculpteurs modernes. Cela explique en même temps pourquoi M. Lévêque a mis un soin si religieux et tant d’âme pour écrire cette vie de Simart, qui allait toucher à la gloire quand il s’est éteint. Ars longa, vita brevis !

Je me plais à mentionner encore ici un beau livre, les Œuvres de Vauvenargues, publiées avec luxe par le libraire Furne, à louer le soin qu’y a apporté M. Gilbert, l’éditeur, dont l’Académie française a couronné, l’année dernière, l’Éloge de Vauvenargues, et qui a regardé comme un devoir pieux de nous donner de cet auteur une édition fort complète, enrichie de pièces inédites. Je pourrais ici, comme je l’ai fait plus haut pour l’Allemand Harlung, me plaindre de quelques injustices littéraires de Vauvenargues, de sa complaisante admiration pour le théâtre de Voltaire, et du soin qu’il prend de rabaisser celui de Corneille. Était-ce pour plaire à celui-là qu’il sacrifiait celui-ci ? Je ne le pense pas, et j’ai de la sincérité de Vauvenargues une trop haute opinion pour l’admettre. Mais l’amitié et les tendresses de tous les jours font sur certaines âmes l’effet de l’amour : elles