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LE PRÉSENT.

but, la même conviction ? Sa colère préméditée se tourne-t-elle contre une plaie sociale, ou seulement contre un démon invisible qui sape la société, honteusement caché sous le voile de l’anonyme ? — Non ! assurément. Pourquoi donc alors ces invocations aux pères, aux mères, aux frères et aux sœurs ? Pourquoi ces alarmes à la vie intime et à la vertu ? — Hélas ! aux seules fins de dégourdir une comédie glacée. N’avez-vous pas rencontré, par hasard, des avocats capables de sacrifier une tête humaine à des dommages-intérêts ?

« Tu dors ! ô société imprévoyante ! Tu dors sur les oreilles ! et pendant ce traître sommeil te voilà bouleversée de fond en comble. Malheureuse ! ne vois-tu pas avancer l’heure sombre où l’époux n’osera plus poser les lèvres sur le front de sa femme et la main dans les cheveux de son fils ? La grand’mère aussi hésitera à caresser ses enfants, et le jeune homme détournera la face de sa fiancée suspecte. En vérité, je vous le dis, le vent maudit du pamphlet, comme le feu qui effaça des villes entières, ternit le courage, l’honneur et le foyer domestique. »

Ainsi s’exprime à peu près l’héroïne de l’Hercule de lettres, dont la lourde massue doit écraser l’hydre moderne. « Trouvez-moi donc, dirait Bazile, un bourgeois assez incrédule pour refuser une couronne civique à l’intrépide libérateur qui se précipite tête baissée dans un gouffre imaginaire. » Mais au milieu de ce pauvre triomphe, entendez les voix de la raison, de la dignité et de la conscience qui crient : Monsieur, il vous est permis d’user largement du droit de faire de mauvaises pièces. La Chine croit et multiplie, l’Inde est fermée, le pavot manque, et il faut bien imiter l’opium comme on a fait le sucre pendant le blocus continental ; il vous est encore loisible de placer votre composition au chevet d’un enfant : ce n’est pas là ce qui l’empêchera de dormir ; mais pourquoi au milieu de la paix publique pousser des cris de discorde ? Croyez-vous donc qu’il n’y ait pas assez de sujets d’alarmes ? Où est votre excuse ? Vos personnages n’ont pu vous entraîner, puisqu’ils ne marchent pas ; et quant à vos idées, elles ne sauraient troubler aucune cervelle. Conseillez donc désormais à vos jeunes filles de ne plus prendre des voix de matamore, d’épeler l’amour plutôt dans Bernardin de Saint-Pierre que dans Plutarque et Polybe, et surtout faites-les sortir plus vite des appartements qu’elles louent à des inconnus ; ainsi elles éviteront les scènes désagréables auxquelles