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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/384

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LE PRÉSENT.

sacrifice, sans avoir eu le courage de rien avouer à sa maîtresse, puis il tombe amoureux de sa fiancée et trompe doublement la pauvre Camille. Le sort d’ailleurs tient contre elle, ses étourderies achèvent de la perdre vis-à-vis de Léon, qui n’hésite plus à l’abandonner. Camille fait comme tant d’autres femmes : ne croyant plus guère à l’amour, elle se met à croire à l’amant ; Léon l’a trahie, un autre la console. Mais non ! Et c’est là que l’auteur s’est trompé gravement : Camille n’aimait pas si fort qu’elle eût besoin d’être consolée.

Si M. Murger, son scénario à la main, s’en était allé consulter quelque critique rompu à l’art épineux de donner des conseils, voilà peut-être ce qui lui aurait été répondu : « Il y a là une nouvelle semblable à celles que vous faites si bien, un récit court et tout plein de ces impressions familières et de ces larmes contenues que vous savez rendre ; mais, pour faire tout un livre de ce tissu léger comme une aile d’abeille, que de talent il vous faudrait, grand Dieu ! il vous en faudrait tant, mon cher, que je ne veux point y croire. Rappelez-vous bien que je suis’critique. » Le livre a été fait pourtant ; M. Murger a prouvé, une fois de plus, qu’avec ses allures légères, et dans son cercle restreint, il est maître : mais hélas ! il n’y a point de maître infaillible, si ce n’est celui du monde, et encore le monde est mal fait.

Je ne me crois pas semblable à ce critique qui confessait, qu’après avoir fini de blâmer il ne trouvait plus rien à dire ; et j’estime au contraire que rien n’est doux à rédiger comme un éloge. Je veux donc louer de mon mieux M. Murger pour le charme toujours renaissant du détail qui nous attache à tous ses livres, lors meme que l’intrigue en est peu suivie ou que les caractères en sont insuffisamment tracés. Suivant un terme fort en usage dans le langage familier des gens de lettres, l’écrivain ne cesse de chercher dans l’herbe la bête au bon Dieu et c’est sur une fleur qu’il la trouve. Nul n’a plus d’esprit que lui, nul n’a surtout l’esprit à la fois aussi alerte et aussi doux, et, lorsqu’il a rencontré le mot juste, nul ne le dit avec plus de finesse. Je me souviens d’un de ces mots que Camille jette à Léon entre deux sanglots, lorsqu’elle apprend qu’il aime une autre femme : « — Elle est blonde n’est-ce pas ? » — Et elle ne dit pas autre chose. Ajoutons pour tout expliquer que Camille est brune. Cette Camille est évidemment le type caressé par l’écrivain ; c’est pourquoi il l’a manqué. On ne fait rien de bon des enfants qu’on gâte !…

Les Vacances de Camille auraient pu être une œuvre parfaite, si l’auteur n’y avait pas hésité comme toujours, entre ses deux manières, celle d’autrefois et celle d’aujourd’hui. Pour moi, je préfère la seconde et je voudrais que M. Murger l’adoptât franchement. Il lui faudrait pour cela changer les cadres qui lui sont familiers et renoncer à mettre en scène les artistes qu’il aime avec excès. Peut-être les connaît-il trop bien aujourd’hui pour les bien peindre : ce que je dis là n’a pas la prétention d’être une malice à l’adresse de la gent qui peint ; mais le type de