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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/492

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LE PRÉSENT.

Suivez-le à travers Paris cet homme qui cherche son enfant, son Aristide chéri. Laissons marcher l’homme et le récit :


Voyage du père Froissard à la recherche de son fils.

« Quand M. Froissard et M. de Neuvillette furent d’accord d’unir leurs enfants, M. Froissard alla chercher son fils à son dernier logement. Le portier lui dit : M. Aristide Froissard n’y est pas. — Quoi ! déjà sorti, à sept heures du matin ? Quand rentrera-t-il !

— Je l’ignore. — Comment, vous l’ignorez ? — Oui, monsieur, voilà trois mois que nous ’avons pour locataire, et il n’a pas paru une seule fois. Vous ne feriez pas mal de vous adresser au faubourg du Roule, la dernière maison avant la bnrrière. — Mais, c’est à deux lieues d’ici ?

À la maison de la barrière du Roule, le portier, en entendant prononcer le nom d’Aristide Froissard, se mit à dire ou plutôt à crier : M. Aristide Froissard, c’est un gueux, un libertin, une mauvaise paye, uu mange-tout ! Est-ce qu’on sait où ça loge ! — Mais, mes braves gens, leur dit M. Froissard, vous m’épouvantez, je suis son père. — C’est différent, reprit alois le portier d’un ton radouci et cependant encore défiant ; c’est que je vous avais pris pour un créancier. Pour les dégoûter de revenir ou d’aller ailleurs le chercher, M. Froissard nous fait une petite pension de quarante sous par jour ; il nous paye pour que nous leur disions beaucoup de mal de lui. Les créanciers sont si effrayés de nous entendre, qu’ils renoncent tous à le trouver, et que quelques-uns ne pensent plus à s’en faire payer. Vous voyez que nous gagnons bien l’argent que nous donne monsieur votre fils. Si vous aviez la bonté de le lui dire…

— Ô corruption ! dit le père Froissard. Mais enfin, est-il chez lui en ce moment ? de manda-t-il ensuite au portier. — Il ne doit pas être levé ; il n’est encore que sept heures. Puisque vous êtes son père, son vénérable père, répondit le portier, je puis vous dire qu’il vient rarement ici le jour, et qu’il passe ordinairement la nuit au passage des Panoramas, escalier S, chez madame de Sainte-Sabine. Vous demanderez M. Jupiter : monsieur votre fils a pris ce nom,

— Je rougis pour mon nom d’homme ! s’écria le vieux Froissard en allant à pied au passage des Panoramas. Il monta l’escalier S, tira le manche de cravache qui terminait le oordon de sonnette : une jeune femme ouvrit ; elle était enveloppée dans un cachemire jaune fané. Un bout d’épaule rose débordait. Ce bout d’épaule disait l’âge, la profession, les mœurs de madame de Sainte-Sabine.

M. Jupiter, s’il vous plaît, demanda en rageant le vieux Froissard.

— Vous venez pour ses bottes ?

— Non, madame.

— Ah ! c’est pour le dernier panier de vin ?

— Non, madame.

— Je vous remets à présent, vous venez pour le quart de chevreuil ?

— Je suis son père.

—— Ah ! vous êtes le père de Jupiter ! Enchantée, monsieur, de vous voir si matin ; mais si vous désirez parler à monsieur votre fils, vous le trouverez au Cercle d’Or, sur les boulevards à deux pas d’ici.