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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/494

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LE PRÉSENT.

— Votre genre de vie…

— Mon père, vous allez me faire perdre.

— Cette maison à l’extrémité du faubourg du Roule…

— Garçon, un petit verre ! — Prendriez-vous quelque chose ?

— Je vois que vous êtes incorrigible…

— Mon cher père, dit Froissard en prenant la main à son père, vous me parlez souvent de la nature : elle n’a pas créé les petits verres pour les jeter devant les pourceaux.

— La femme que vous allez épouser mérite tant d’égards…

— Voulez-vous lui donner un bon conseil ? dit Aristide, engagez-la à ne pas m’épouser. Le conseil ne cadrait pas du tout avec les projets du père Fruissard, et voilà pourquoi il avait jusqu’ici tant ménagé son fils, mis tant de patience à lui parler à cette table d’estaminet, entre des pipes et beaucoup de petits verres.

— Quel jour vous présenterez-vous chez M. de Neuvillctte ?

— Dans quinze jours, lui dit Aristide en lançant en l’air les dominos, car il venait de perdre trente consommations du coup.

— Mon père, ajouta Aristide au vieux Froissard, si vous étiez mon ami au lie”, l’âtre mon père, je vous jetterais ce petit verre au visage. Vous m’avez fait perdre… mais comme vous êtes mon père, je vais boire à votre santé en vous priant de le payer. »


Quel fils respectueux et bon ! moins méchant que vous ne pensez, si je voulais couper encore deux ou trois pages du second volume, vous feriez la paix avec lui, et d’ailleurs son coquin de père ne vaut pas le diable. Je termine par la scène du mariage, car il se marie, le jeune Aristide. Je passe des détails charmants, pour arriver au dénoûment, quelque chose de sublime !


Aristide à l’église.

« Le hasard voulut que le jour où les nouveaux mariés pénétraient dane l’église, un convoi funèbre y entrait aussi, précédé à son tour d’un groupe qui allait faire baptiser un nouveau-né.

On connaît la cérémonie du mariage religieux : c’est pur comme l’antique. Le voile blanc, l’encens qui pétille, le bouquet, les chants dans l’ombre, l’anneau d’or, tout a été conservé. Combien ce spectacle si calme et si gracieux en lui-même n’était-il pas encore relevé par la beauté virginale d’Adeline, enfant encore par la pureté du corps et de la pensée, femme par les graves paroles prononcées par elles à la mairie ! La noble et décente fille remplissait l’église d’éclat, bien mieux encore que ne le faisaient les bougies, semblable à ces saintes qui sont tout rayon. Si elle détournait un instant la tête, c’était pour regarder sa mère et son vénérable père, le marquis de Neuvillette, à genoux sur la pierre, mêlant, dans son oraison fervente, le souvenir de son roi à celui de Dieu. Quant au vieux Froissard, il murmurait la seule prière qu’il eût apprise pendant la Terreur : « Ô Nature, descends, entourée de fleurs et de gazon, et répands ta fécondité sur ces deux créatures. » Il priait à sa manière, marmottant des vers de l’épître à Uranie, des lambeaux du caté* chisme de Delisles de Salles, le tout coupé de signes de croix, une prière de transition. Le prêtre, en offrant l’anneau aux jeunes mariés, leur dit ;