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Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/495

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CHRONIQUE.

— Mademoiselle de Neuvillette, consentez-vous à prendre pour époux devant Dieu M. Aristide Froissard ?

On attendait la réponse d’Adeline, le Oui éternel, lorsqu’une voix qui sortait du baptistère, une voix d’enfant (et précisément, nous l’avons dit, on en baptisait un en ce moment), cette voix cria en pleurant :

— Maman ! ne te marie pas ! Maman, je ne veux pas que tu te maries… Oh ! maman ! maman ! maman !

Le prêtre, quoique peu superstitieux, recula de terreur ; la foule se regarda, car tout le monde avait entendu. Que signifiait ?…

Adeline épouvantée courut se jeter dans les bras de sa mère.

Ce mouvement d’étonnement passé, on se dirigea vers le baptistère, et l’on vit que l’enfant baptisé dormait d’un profond sommeil. Quand on demanda à la nourrice s’il n’avait pas dit…

— Que voulez-vous, répondit-elle, qu’il ait dit ? Il est né il y a quatre jours aujourd’hui.

C’était une hallucination un peu forte, il est vrai ; mais, après tout, il était insensé de s’y arrêter davantage. Après une demi-heure de confusion et de trouble, la cérémonie fut reprise, et, cette fois, Adeline put prononcer le Oui au milieu du silence universel du monument.

Vint le tour d’Aristide Froissard.

Le prêtre lui demanda :

— Aristide Froissard, consentez-vous à prendre pour épouse devant Dieu mademoiselle Adeline de Neuvillette ?

Le Oui fut dit ; mais il arriva du fond de la nef où était déposé le mort sur lequel se disaient les prières. Oui, répéta cette voix sépulcrale, et elle ajouta : « Priez pour moi et pour elle. »

Ce fut une épouvante plus grande encore : sans le prêtre, qui fit bonne contenance, tout le monde se serait précipité hors de l’église. Adeline serait morte d’effroi, si Froissard ne lui eût dit tout bas : « C’est moi qui m’amuse, je suis ventriloque. »


Qui donc a trouvé cet esprit, cette audace, cette hardiesse d’expression ; qui a fait ce livre plus fort contre les lois du monde, plus dangereux pour la société que les proclamations des émeutiers ou les livres des socialistes ? Je n’exagère pas, et si j’avais voulu citer encore, on le verrait ! Quel est donc l’auteur d’Aristide Froissard ? Il en a fait bien d’autres, c’est un Marseillais…, devinez-vous maintenant. À coup sûr ce n’est pas Méry.

Quelqu’un se plaint-il par hasard, et préfère-t-on Max ? Oh ! si tous les jours je découvrais de pareils livres, je serais bien sûr d’être lu et je ferais abonner tout Paris, tous les jours j’arracherais quelque membre et le servirais saignant dans ma chronique.

C’est sans doute la première et la dernière fois que pareil bonheur m’arrive. D’ici à deux ans peut-être, je n’aurai pas deux pages de citation. C’est si agréable pourtant ! Allons, la toile baisse, les acteurs disparaissent, on demande l’auteur.