Aller au contenu

Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LE SPHYNX.

lement tous les beaux semblants de force et de froideur dont elle s’était armée. Ses traits si fins et ses yeux malhabiles surtout reflétèrent cette flamme étrange que Georges avait vue s’allumer dans son cœur au seul nom d’Arsène, pendant leur première entrevue, et des mots dont le vrai sens lui sembla tout nouveau se pressèrent sur ses lèvres.

— Vous avez beaucoup souffert, monsieur ? demanda-t-elle au bout de quelques instants. — Tandis que l’on causait autour d’elle de choses étrangères, elle n’avait suivi que sa propre pensée.

— J’ai failli mourir, répondit Arsène en élevant la voix.

Il cédait à la malheureuse envie de se dramatiser un peu.

— Mais qu’importe ma vie, continua-t-il du même ton de déclamation, et ne la donnerais-je pas encore cent fois pour sauver la vôtre ?

L’embarras croissant de madame André fit place là-dessus à une impatience bien légitime. Le bel Onfray mettait aussi trop de sans-façon à montrer qu’il n’était venu là que pour Julie, et qu’il n’y voyait qu’elle ; de si grands empressements et tant de hardiesse alarmaient la vieille dame plus encore qu’ils ne la blessaient.

— Monsieur, dit-elle résolûment, en coupant court à un nouveau chapitre d’actions de grâces et de compliments que le dandy entamait alors, ma fille et moi nous ne vous avons point su d’autre gré que celui que méritaient cent fois votre générosité et votre courage. Vous avez conservé à une vieille mère son dernier enfant, n’est-ce pas tout dire ? Il faut, oui, nous voulons que vous croyiez à notre reconnaissance… mais n’oubliez pas pourtant que ce n’est que la vie d’une pauvre campagnarde que vous avez sauvée.

— Madame Moreau, dit Arsène…

— Je ne me nomme plus que mademoiselle André, lui dit rapidement la pauvre Julie.

À ce nom de Moreau l’aïeule avait tressailli ; elle se leva, et le maire se mit à marcher avec elle autour d’un carré de fleurs devant le berceau.

— Quel est ce comédien ? lui demanda-t-elle.

— Bah ! dit le bonhomme, on peut bien dire que c’est le futur mari de madame du Songeux. — Que je meure tout de suite si tôt ou tard il ne l’épouse. Je l’ai vu au petit château, comme je vous l’ai dit. Un dandy ! un citadin ! Il paraît pourtant que, de toutes façons, il veut s’établir dans la contrée.