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L’idée ne meurt pas. Elle est immortelle tandis que le corps disparaît à chaque instant, pourrit, change. » Vous voyez bien que tout ce qui était changement, tout ce qui était destiné à se modifier, à disparaître, devait être pour un grand penseur de la période rationaliste quelque chose de subalterne, d’inférieur. Et l’idée devait apparaître dans une auréole, dans une pureté absolue.

Nous trouvons jusqu’à ce jour ce respect aveugle de l’absolu, de ce qui ne change pas, de ce qui est égal à soi-même.

Vous comprenez maintenant le fond même de la méthode idéaliste qui a dominé, qui domine encore aujourd’hui certaines écoles socialistes.

Le XVIIIe siècle, c’est le triomphe de la méthode rationaliste, dont je vous ai parlé au début de ma leçon. « C’est la raison, disent les philosophes du XVIIIe siècle, qui doit tout dominer. » Ils ont voulu, à la suite du grand penseur, du fondateur de la philosophie moderne. Descartes, qui a mis le doute à la base de toute sa philosophie, le doute systématique (il doute de tout, même de sa propre existence, et il lui fallait trouver un raisonnement « je pense, donc j’existe » pour y croire, les philosophes du XVIIIe siècle, en développant l’idée critique, la méthode critique, la méthode sceptique de Descartes, ont voulu tout baser sur la raison. Tout devait se soumettre à la raison.

Le XVIIIe siècle est un des siècles les plus remarquables de l’histoire, sans la compréhension duquel nous ne pouvons comprendre le XIXe siècle. Ce siècle a déclaré la guerre au dogme. Et comme la religion en est l’incarnation même, le rendez-vous de tous les dogmes, de toutes les croyances, de toutes les affirmations sans preuve, de toutes les superstitions (la superstition, c’est l’exagération, la caricature du dogme) ; les philosophes rationalistes du XVIIIe siècle, les Voltaire, les Diderot, les d’Alembert, les Condillac, les Helvétius avaient déclaré la guerre à la superstition religieuse, à la religion elle-même.

Il y avait naturellement, dans cette critique de la religion, une limite, la limite sociale. Voltaire, avec son esprit caustique, avec sa franchise de génie, a exprimé admirablement cette limite sociale : « Il ne faut pas toucher à Dieu ; le peuple a besoin de la religion ; Dieu est un gendarme social. » Il a dit : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer », parce que sans Dieu, les hommes ne voudront pas se soumettre aux autres hommes pour payer des impôts et pour acquitter les droits féodaux qui, à son époque, n’étaient pas abolis. C’est la raison sociale de l’idéologie déiste. Ce