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transformation perpétuelle. Pour nous, c’est le fond même de la réalité. Et voilà pourquoi — c’est une des raisons, entre bien d’autres — nous sommes révolutionnaires. Nous voulons changer, transformer ; nous ne nous arrêtons devant rien et nous disons : rien n’est éternel. Tandis que pour la pensée antique, tout ce qui était variable n’était qu’une simple apparence.

Platon représentait également la réaction contre les sophistes. Les sophistes étaient des raisonneurs à vide. Les avocats, les phraseurs de l’antiquité démontraient, pour argent comptant, le pour et le contre. Ils disaient : « Vous voulez affirmer quelque chose, je démontre cette affirmation ; vous voulez nier quelque chose, je démontre le contraire. »

« Rien n’est vrai, disaient les sophistes : tout est apparence, tout est opinion et l’opinion change. » Alors, pour opposer à ce flot de sophistes, de raisonneurs à vide, — les « bourreurs de crânes » de l’époque, — Platon, à la suite de Socrate, cherchait quelque chose de fixe, de stable et disait : « Ce n’est pas l’opinion, ce n’est pas l’apparence, ce n’est pas le changement qui est l’essentiel des choses : ce sont les idées éternelles. Cette table que vous voyez devant vous, ce n’est pas « la table », parce qu’il y a mille tables qui ont une autre longueur, une autre forme ; « la table », selon Platon, c’est l’idée de la table : toutes les tables ne sont que réalisation de cette idée de la table.

Cette pensée, que la conception précède l’objet, pouvait venir à Platon en observant notre action. Que faisons-nous quand nous agissons ? D’abord, nous avons une idée. J’ai l’idée d’écrire un livre, de faire un tableau. Je forme le tableau dans mon esprit ; le tableau est fait selon mon idée. J’ai donc l’illusion que l’idée a une existence indépendante dans mon cerveau et que cette idée a précédé l’action parce qu’avant de faire une statue, un livre ou un tableau, avant de commettre une action quelconque, j’avais cette idée dans ma tête.

Il y a encore autre chose. L’idée est quelque chose de stable. Ce que nous recevons par les sens est variable, éphémère. Par exemple, quand vous regardez le même objet de loin, du haut d’une montagne, ou de près, il vous paraît différent. Quand vous regardez un bâton à travers le flot, ce même bâton qui est droit, vous paraît tout à fait autre, vous paraît infléchi, recourbé.

« Les sens vous trompent, disent les idéalistes. Les sens vous donnent des connaissances subalternes, inférieures ; tandis que l’idée est stable et fixe. L’idéal est toujours égal à lui-même.