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quinze ans, écrit Saint-Simon, je travaille sans feu, et j’ai vendu jusqu’à mes habits pour subvenir aux frais de copie de mon travail. C’est la passion de la science et du bonheur public ». Vous voyez dans ces dernières phrases cette liaison, dans l’esprit de Saint-Simon de ses deux passions, la passion de la science et celle du bonheur public. Dans cette dernière phrase, c’est tout Saint-Simon.

Il menait de front à la fois l’étude scientifique, et l’effort systématique pour le bonheur universel. L’un n’exclut pas l’autre, au contraire. Selon la conception de Saint-Simon, c’est par la science, par l’intelligence de ce qui se passe qu’on arrivera à la compréhension de la transformation sociale nécessaire. Du moment que l’idéal social ne sort pas tout vivant, tout prêt, tout fait de notre imagination, du moment que cet idéal social se trouve dans les faits mêmes, dans la vie sociale, dans la vie historique, savoir c’est prévoir, savoir c’est donc forger une arme pour l’action. D’ailleurs, la formule « savoir, c’est prévoir » est reprise par son disciple Auguste Comte.

Saint-Simon se base sur l’idée qu’il existe une synthèse des forces naturelles et des forces sociales, de la science et de l’action. Si nous jetons en passant un coup d’œil sur le socialisme moderne pour rattacher Saint-Simon au socialisme de nos jours, nous retrouvons chez Marx et chez Lassalle cette idée fondamentale de l’union qui doit exister et qui existe entre la science et le travail.

Lassalle en a fait le sujet d’un discours fameux et Marx a exprimé des pensées analogues.

Saint-Simon cherche à organiser scientifiquement la Société. Et comme il vivait dans la période de la grande révolution, il arrive à se poser cette question : Qu’est-ce que cette révolution ? Quel sens à ce bouleversement qui embrasait l’Europe tout entière à cette époque. Saint-Simon a compris — et là aussi vous retrouvez la méthode du socialisme moderne — que la révolution française de 1789 et de 1793 n’était pas seulement un changement de politique. Ce n’était pas seulement un manifeste proclamant, sur le papier, en théorie, les droits de l’homme et du citoyen. C’est selon Saint-Simon — et c’est la vérité — l’avènement d’une nouvelle période sociale, c’est l’avènement au pouvoir d’une nouvelle classe. L’idée que l’histoire est dirigée par des classes, c’est l’idée saint-simonienne. Il parle du rôle qu’avait dans l’histoire la théocratie, ou classe du clergé, des prêtres, et la classe des nobles qui s’accordaient très bien avec les prêtres, puisqu’ils partaient des mêmes principes, des mêmes dogmes : l’obéissance aveugle, l’autorité. Ces classes, avec le temps, constate Saint-Simon, deviennent inutiles. Une nouvelle clause surgit avec la révolution, la classe industrielle. Nous l’appelons aujourd’hui la classe bourgeoise. Ce n’est plus par la prière, ce n’est plus par la foi que les hommes sont régis, c’est