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la première règle : connaître la vie en la vivant sous différentes formes, les plus originales possibles.

Quatrième règle : employer sa vieillesse à résumer toutes les observations sur les faits qui sont le résultat de ces expériences, tant pour les autres que pour soi et lier ses observations de manière que cela forme une théorie philosophique neuve.

L’homme qui applique ces quatre règles est celui auquel l’humanité doit accorder le plus d’estime. C’est celui qu’elle doit regarder comme le plus vertueux, puisque c’est lui qui a travaillé le plus méthodiquement et le plus directement au progrès de la science véritable, source de la sagesse.

Comme partisan ardent et convaincu des sciences exactes, Saint-Simon a voué un véritable culte à Newton, le plus grand mathématicien de toutes les époques. Mais il trouvait que Newton n’était pas parfait. Il avait de grands défauts selon lui. Il était sobre, économe et menait une vie d’ascète. Il est mort, comme dit Saint-Simon, « vierge à plus de quatre-vingts ans ». Il trouvait cela abominable. Newton n’a pas rempli la première et la quatrième règles du programme saint-simonnien. Il n’a pas parcouru les aventures de la vie. Il était trop normal et ne pouvait pas connaître la vie.

Je vous lis un autre passage très caractéristique pour sa mentalité :

« Si je vois un homme qui ne s’occupe pas de science générale, fréquenter les maisons de jeu et de débauche, ne pas fuir avec la plus scrupuleuse attention la société des personnes d’une immoralité reconnue, je dirai : voilà un homme qui se perd ; les habitudes qu’il contracte l’aviliront à ses propres yeux et le rendront, par conséquent, souverainement méprisable. Mais si cet homme s’occupe de philosophie théorique, si le but de ses recherches est de rectifier la ligne de démarcation qui doit séparer les actes et les classes en bonnes et mauvaises, s’il cherche à découvrir un remède pour guérir les maladies d’intelligence qui entraînent ceux qu’elles attaquent dans des routes qui les éloignent du bonheur, je dirai : cet homme parcourt la carrière du vice dans une direction qui le conduira nécessairement à la plus haute vertu ».

Saint-Simon a oublié un détail. C’est qu’en parcourant le chemin du vice pour arriver à la vertu, on peut rester en route. C’est une expérience extrêmement dangereuse. Elle a réussi à Saint-Simon. Mais il faut être Saint-Simon pour que cela réussisse.

Pour Saint-Simon, les sciences n’étaient pas des choses mortes, des choses abstraites, sans aucun lien avec la vie. Les sciences les plus exactes, comme les sciences historiques, n’étaient pour Saint-Simon qu’un moyen de transformation sociale, qui doit aboutir au bonheur universel. Il dit, en s’adressant aux savants : « Quittez la direction de l’atelier scientifique, laissez-nous réchauffer son cœur qui s’est glacé sous votre présidence et reporter son attention vers les travaux qui peuvent ramener la paix générale ». « Depuis