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demande que l’idéal social soit basé sur des forces historiques, et non sur l’imagination, sur la bonne volonté. Mais en pratique, étant donné l’absence d’une force réelle, étant donné l’état encore faible du prolétariat, il s’adresse aux seules forces qui existent selon lui. Naturellement, sa lettre n’eut aucune conséquence. Elle n’eut aucune réponse.

Saint-Simon fait une analyse très remarquable et très exacte de la situation de l’Europe à cette époque. C’était l’époque des guerres napoléoniennes. Il critique cet état d’anarchie et de violence de l’Europe de son temps. Il oppose l’esprit, industriel à l’esprit militaire, comme il oppose la méthode scientifique à la méthode dogmatique. Il a formulé la loi des trois étapes dont je vous ai parlé : Première période, la période théologique, basée sur la loi, la croyance, le dogme. Seconde période, la période métaphysique, qui remplace les forces surnaturelles par des vérités absolues. Troisième période, période positive, qui se base uniquement sur l’étude des faits.

Naturellement, Saint-Simon, comme je l’ai dit, s’adresse non seulement à Napoléon, premier consul, comme à la plus grande puissance du temps, il s’adresse à toutes les bonnes volontés des classes dominantes. Il leur demande de travailler au bonheur de l’immense majorité de la population, des 25 millions d’habitants qui, en France, appartiennent à la classe industrielle. Ce sont les paroles de Saint-Simon. Voyez, pour lui, la classe industrielle, ou ce que nous appelons la bourgeoisie, c’est 25 millions de Français, c’est-à-dire la presque totalité de la population. Tous ceux qui travaillent directement ou indirectement, paysans, industriels, directeurs, fabricants, administrateurs, tout cela forme la classe industrielle.

Et voici la fameuse parabole de Saint-Simon, pour laquelle il a été traduit devant la justice comme un simple comploteur, comme un homme formant un complot contre la société établie :

« Nous supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, ses cinquante premiers physiologistes, ses cinquante premiers mathématiciens, ses cinquante premiers poètes, ses cinquante premiers peintres, ses cinquante premiers sculpteurs, ses cinquante premiers musiciens, ses cinquante premiers littérateurs ;

Ses cinquante premiers mécaniciens, ses cinquante premiers ingénieurs civils et militaires, ses cinquante premiers artilleurs, ses cinquante premiers architectes, ses cinquante premiers médecins, ses cinquante premiers chirurgiens, ses cinquante premiers pharmaciens, ses cinquante premiers marins, ses cinquante premiers horlogers. »

Et il continue par l’énumération de tous les ouvriers vraiment utiles, vraiment productifs. Parmi ceux-ci, il place les banquiers, les négociants et, naturellement les agriculteurs, les fabricants, etc.

Alors il dit :