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communistes de la période utopique sont, comme je l’ai dit dans ma leçon inaugurale, anti-révolutionnaires. Je ne dis pas contre-révolutionnaires, ce qui est tout à fait autre chose. Est contre-révolutionnaire celui qui combat passionnément la révolution au nom d’un intérêt de classe ou d’un intérêt personnel. Les communistes de la période utopique sont anti-révolutionnaires, parce que, pour eux, pour leurs théories de réforme, de transfiguration sociale, le grand argument consiste à dire : « Si vous ne voulez pas de trouble, si vous ne voulez pas que la société soit profondément bouleversée, en un mot, si vous voulez faire l’économie d’une révolution, faites ce que nous vous disons. Réformez la société, supprimez la propriété privée, source de tous les maux, de toutes les misères ». Les communistes de la période utopique étaient des anti-révolutionnaires pour une autre raison : ils avaient l’horreur de tout bouleversement violent. Mably cependant faisait exception. Il déclare, en effet, textuellement que la guerre civile n’est pas un mal, que c’est plutôt un bienfait, parce que c’est une opération, une amputation nécessaire pour écarter un membre gangrené, dans le but de sauver le corps social tout entier. Voilà le seul trait qui distingue Mably des autres communistes de la période utopique.

Mais, comme tous les autres utopistes, il se contente de la critique par le bon sens, par la raison simple, par la logique. Comme les autres, il considère, la transformation sociale, la suppression de la propriété privée, comme l’application d’une nouvelle morale. Mably est mort quelques années avant la grande révolution, le 23 avril 1785. Je vous communiquerai la liste de ses œuvres, dans la bibliographie socialiste que nous constituerons pour vous dans un des cahiers. Vous connaîtrez alors les titres exacts de ses œuvres.

Je passe maintenant à Saint-Simon. Saint-Simon nous intéresse tout particulièrement. Avec lui, commence une nouvelle période du socialisme. C’est la période scientifique.

Saint-Simon ne considère pas la réforme sociale qu’il propose comme une nouvelle morale. Il la considère plutôt comme une nouvelle science. Avant de réformer la société, dit-il, il faut fonder une physique sociale, une nouvelle science sociale qui soit aussi exacte que les sciences naturelles. C’est lui qui est un des initiateurs de cette idée, qu’il y a nécessité et possibilité de formuler scientifiquement notre idéal social, notre but de transformation sociale, et cela, non seulement dans cette formule vague : il va plus loin. Pour que l’idéal social soit pris au sérieux, il faut, selon lui, que cet idéal social se base, non seulement sur notre désir, sur notre notion de justice, d’équité, mais sur les forces du passé, comme sur celles du présent. Il faut, en un mot, que la transformation sociale sorte des entrailles mêmes de la réalité historique, qu’elle soit la conclusion de toute une série de transformations dans le