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passé. Il faut connaître l’histoire, non l’histoire des guerres, des conflits entre dynasties, entre princes, entre Etats, mais la véritable histoire de la civilisation, l’histoire des conditions sociales, l’histoire du travail, l’histoire des sciences pour pouvoir baser cet idéal social non sur un rêve, mais sur des faits, sur des réalités. Il faut bâtir la société future, non sur le sable de nos désirs, mais sur le roc des réalités historiques. Voilà l’idée fondamentale de Saint-Simon. Vous voyez par cela même que c’est précisément la conception du socialisme moderne, qui applique la même méthode réaliste, qui, précisément, distingue deux sortes de socialismes : le socialisme utopique, qui se base sur les rêves, les idées, les désirs, la notion de justice et d’équité, et le socialisme scientifique, ou réaliste, qui se base sur l’évolution historique elle-même.

Avant d’entrer dans les détails, je veux vous donner une idée générale et vous exposer brièvement la vie de ce remarquable précurseur du socialisme scientifique. Claude Henri, comte de Saint-Simon, est né le 17 octobre 1760. Il est mort en 1825, donc, à l’âge de 65 ans. Il était d’une grande famille, issue de la véritable aristocratie. Il avait même la prétention de descendre de Charlemagne. A ce sujet, Michelet dit : « C’est assez bien d’avoir fourni l’un des plus grands écrivains du XVIIIe siècle et le plus hardi penseur d’un autre. » Le plus grand écrivain du XVIIIe siècle, c’était le duc de Saint-Simon, l’auteur des célèbres Mémoires, qui a raconté la vie de la cour de Louis XIV. Selon Michelet lui-même, le précurseur de notre socialisme, c’est le penseur le plus hardi du XVIIIe siècle.

Un de ses biographes l’appelle le dernier gentilhomme et le premier socialiste. Ce n’est pas exact, vous le savez, après notre brève étude de Mably et de Morelly. Dès son enfance, Saint-Simon montra un caractère énergique et indépendant. Il refusa de faire sa première communion, ne voulant pas commettre un acte d’hypocrisie. Son père l’envoya pour cet acte d’indépendance à la prison de Saint-Lazare, d’où il s’évada arrachant les clés à son gardien. A cette époque, la prison de Saint-Lazare, servait non pour des femmes, mais pour des hommes. Le père de Saint-Simon n’était pas tout à fait favorable à son fils, justement à cause de la trop grande indépendance de son caractère.

Saint-Simon débuta dans la vie, comme c’était l’usage, à l’époque, par le service militaire, qu’il détestait d’ailleurs. Il se battit dans l’armée de La Fayette, pendant la guerre de l’indépendance aux Etats-Unis. Il avait une grande ambition, dès sa prime jeunesse. Son domestique avait l’ordre de le réveiller chaque jour par ces paroles : « Souvenez-vous, Monsieur le Comte, que vous avez de grandes choses à faire. »

Quand il revint en France, il fut fait colonel. Il n’avait pas encore à cette époque 23 ans. Déjà, de grands projets le préoccupaient. Il avait l’esprit très entreprenant. Lorsque la révolution de 1789 éclata, tout en ayant des sympathies pour les idées libérales, sans se considérer comme républicain, il était pour le