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régime constitutionnel, limitant l’arbitraire de la monarchie. Mais il ne se laissa pas entraîner par l’action politique. Il avait le sens social très développé et considérait les réformes politiques comme des réformes secondaires. Ce qui le préoccupait principalement, c’était la transformation sociale. Si on ne connaissait pas sa vie ultérieure, on aurait pu l’appeler, sinon un profiteur de guerre, mais un profiteur de la révolution, parce qu’il spécula sur les biens nationaux, avec un associé, Von Redern, un baron prussien. Il a même gagné une grande fortune dans cette spéculation. Mais, pour Saint-Simon, l’argent n’était pas un but, c’était un simple moyen. En effet, il dépensa toute sa fortune, qui était assez considérable, pour l’étude. Il étudia d’une façon très originale, en grand seigneur. Au lieu d’aller à l’école, il faisait venir à sa table les plus grands savants. Il se déplaça même quand il voulut étudier les sciences physiques. Il transporta son domicile à côté des écoles supérieures, où l’on enseignait les sciences exactes. Quand il voulait étudier une autre science enseignée ailleurs, il changeait de domicile. Avec cette manière d’étudier, il se ruina entièrement et pas un savant, ayant profité de sa richesse et de sa largesse, n’est venu à son secours quand il était dans la misère la plus complète. Il ne s’est trouvé qu’un seul homme pour l’aider, c’était son domestique, un homme du peuple. Sans lui, il serait mort de faim. Il avait pour vivre une trop modeste fonction de scribe dans un bureau de Mont de Piété dont il ne pouvait vivre que misérablement. Il y avait même des moments on il était en plein désespoir. Il tenta de se suicider, mais il fut sauvé. Voilà toute sa vie, qui débute par quelques aventures courantes à cette époque, qui se continue et qui finit par l’étude la plus approfondie, la plus sérieuse des plus graves problèmes.

Il s’est fait un programme pour lui personnellement. Il a formulé un programme d’études en quatre règles assez caractéristiques pour que je vous le cite en entier.

Première règle : mener, dans la vigueur de l’âge, la vie la plus originale et la plus active, — parce que, selon Saint-Simon, on n’apprend ni la vie dans les discours, ni dans les livres, il faut vivre sa vie.

Seconde règle : prendre connaissance de toutes les théories scientifiques, particulièrement des théories astronomiques et physiologiques. — Comme je vous l’ai déjà dit, Saint-Simon considérait la science sociale comme une science exacte. Elle devait donc, non pas précéder, mais suivre les sciences astronomiques et physiologiques. D’ailleurs, il a fait, comme nous le verrons plus loin, une classification des sciences qui était remarquable et qui a été vulgarisée par son secrétaire, Auguste Comte, fondateur du positivisme.

Troisième règle : parcourir toutes les classes de la société. Se placer personnellement dans le plus grand nombre de positions sociales différentes et même créer pour les autres et pour soi des relations qui n’aient pas existé. — C’est l’application au fond de