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Page:Le Socialisme VIII et IX. Les Précurseurs du Socialisme moderne P.-J. PROUDHON - Charles RAPPOPORT.pdf/23

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Pour l’idéaliste, il y a le droit, une abstraction, un mot, une entité, une idée. Pour nous, il y a un fait, la classe ouvrière qui proclame son intérêt, qui coïncide avec les intérêts de tous.

Vous verrez dans plus de cinquante volumes écrits d’une façon remarquable par Proudhon, vous verrez toujours surgir la même méthode idéaliste, l’appel aux vérités éternelles, au Droit, à la Morale, à la Raison, sans spécifier de quel droit, de quelle morale, de quelle raison il s’agit. Voilà pour la méthode de Proudhon.

Je passe maintenant aux éléments principaux de la doctrine proudhonienne.

Je vous ai déjà parlé de l’anarchie. Je crois que c’est Proudhon qui a prononcé le premier, le mot « anarchie » dans le sens d’une doctrine. Parce qu’il faut être objectif et juste et ne pas dire, comme les bourgeois, ou certains socialistes, que l’anarchie veut dire désordre. Cela veut dire — d’après un mot grec — absence d’autorité. Il est évident que l’autorité est une espèce de contrainte, de tyrannie. Toute contrainte d’un homme par un autre est une tyrannie. L’anarchie, par elle-même, est un idéal supérieur, qui cherche à abolir, à supprimer l’autorité, c’est-à-dire la domination de l’homme par un autre homme. Comme il existe une exploitation économique, de l’homme par l’homme, il existe une exploitation politique. La domination de quelques-uns, ou même de la majorité — si la majorité exerce un pouvoir tyrannique vis-à-vis d’une minorité, ou même d’un seul — c’est de l’exploitation, c’est un crime, un abus. Et Jean-Jacques Rousseau avait raison quand il disait que si une seule personne est opprimée par la société, toute la société est à l’état de crime. Si toute la société décide, pour augmenter son bien-être, de se débarrasser d’un seul individu, elle pourra toujours le faire, puisqu’elle est la plus forte. Est-ce que ce ne sera pas un crime collectif ? C’est ce que nous avons vu pendant l’affaire Dreyfus, où, au nom de la raison d’Etat, de l’intérêt supposé de l’Etat, de la collectivité, on voulait supprimer — en connaissant que c’était injuste — un seul individu. C’était la société entière, armée, contre un seul homme désarme.