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même ouvrier, bien mouvementée, encadrée comme l’autre dans une belle feuillure, — j’observai, dis-je, beaucoup de jeunes garçons occupés à cueillir des fleurs parmi les herbes et les arbustes, en compagnie d’un grand nombre de nymphes gracieuses qui badinaient allègrement et les leur ravissaient en folâtrant. De la même façon, ci-dessus décrite, des majuscules gravées exprimaient cette seule parole : Amissio[1]. Ces lettres étaient d’une proportion parfaitement exacte et leur épaisseur ne dépassait que de fort peu la neuvième partie de leur quadrature.

Stupéfait, rêveur, je contemplais, avec un plaisir et une curiosité extrêmes, cette machine extraordinaire fondue en forme d’animal, invention très-digne du génie humain, d’une proportion, d’une harmonie exquise dans tous ses membres. Cela me rappela le néfaste cheval Sejanus[2]. J’étais comme halluciné par ce mystérieux objet d’art, quand un grand éléphant m’offrit un non moins merveilleux spectacle, et je m’élançai vers lui avec plaisir. Mais voilà que j’entendis un gémissement d’homme malade. Je m’arrêtai les cheveux hérissés et, sans délibérer autrement, je m’en fus du côté d’où était partie cette plainte, par un champ plein de ruines, escaladant des quartiers et des débris de marbre. Je m’avançais avec précaution, lorsque je vis un énorme et admirable colosse avec les pieds nus et perforés, avec les jambes toutes creuses. Je fus du côté de la tête, elle était horrible à voir ; je conjecturai que l’air, en s’introduisant par la plante des pieds, causait, par une invention divine, le sourd gémissement exprimé. Ce colosse gisait sur le dos ; il était fondu avec un art admirable. Il paraissait d’âge moyen, sa tête était quel-

  1. Perte.
  2. Cheval de Meius Sejus, qui porta malheur à tous ses maîtres.