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Révolution, à une compagnie de partisans dite Royal-Carnage qui prit part à l’affaire de la Ville-Mario, où trois cents républicains combattirent deux mille paysans bretons commandés par des émigrés. La Ville-Mario était jadis le siège d’une baronnie et n’est plus aujourd’hui qu’une ferme abritée par une ruine entourée de murailles. C’est un endroit délicieux que cette Ville-Mario avec sa grande allée de hauts arbres, ses entours de chemins creux si solitaires et si mystérieux. J’y ai goûté un vrai repos loin du bruit des villégiatures et des commérages de la plage.

Ici, le double caractère de la Bretagne apparaît pleinement, la côte transformée par une population nouvelle, l’intérieur des terres gardant sa solitude et sa sauvagerie. Il en est ainsi partout où campe la population des bains de mer, entre Saint-Malo et Roscoff, Pornichet et Douarnenez. C’est le pullulement, c’est la foule. Tous les soirs, tous les matins, de juillet à septembre, aux gares qui avoisinent les côtes, les trains déversent des familles chargées d’appareils de photographie, de bicyclettes et de filets à crevettes. Les diligences, les omnibus, les voitures de toutes formes, chargées d’édifices de bagages, montent et descendent les routes, traversent les villages, les champs, de merveilleux paysages, les plaines dorées et fleuries du blé, du seigle, de l’orge, du sarrasin. Les couleurs se croisent, se confondent. Les formes magnifiques et solides des terrains répondent aux formes féeriques et fluides des nuages. Il y a dans l’air une immense promesse de tranquillité pour l’esprit fatigué des villes.

Les touristes qui arrivent au trot nerveux des chevaux maigres passent, pour la plupart, à travers ces splendeurs, avec les seules préoccupations de la longueur de la route et de l’heure de l’arrivée. Ils sont fatigués par le voyage en chemin de fer, par la chaleur ; ils ont hâte de connaître leur gîte et de passer de la table au lit. Ce qu’ils viennent presque tous chercher, d’ailleurs, c’est la continuation de leurs habitudes, la rencontre des gens qu’ils connaissent, la suite de leurs conversations. Sous leur influence, le décor de la côte, aux alentours de la bourgade qu’ils ont choisie comme station, s’est transformé rapidement et de la plus médiocre manière. Ils n’ont pas eu le souci de se mettre à l’unisson du style du pays et d’employer, pour leurs habitations, les matériaux dont se servent les bourgeois et les paysans de l’endroit. Ils pouvaient construire des maisons du même genre, en pierres grises et rousses rejointoyées d’un crépi blanc, et les faire à leur guise, plus spacieuses, avec de plus larges ouvertures, des ailes en retour pour se préserver des vents de la mer et protéger leurs pelouses et leurs plates-bandes. Ces belles maisons, carrées, trapues, massives, sont en accord avec les rochers et les végétations de la falaise. Mais leur simplicité ne peut agréer à nos baigneurs, avides de manifester leur goût architectural. Ils sont bientôt imités, et c’est le malheur, par les gens du pays qui veulent louer des maisons pendant le temps des bains, et font désormais bâtir sur les modèles offerts à leur naïveté admirative et à leur fièvre de spéculation.

Aussi, ce ne sont partout que constructions prétentieuses et baroques, les folles maisons de campagne des environs de Paris, les chalets suisses, les manoirs anglais, les châteaux-forts minuscules avec ponts-levis et tourelles, courtines et mâchicoulis, créneaux et meurtrières. Des hommes de commerce et de finance s’installent derrière ces murs de carton-pierre, dans ces tours à poivrières, sur ces plates-formes féodales. Ils descendent de leurs donjons en costumes de bicyclistes et de chauffeurs d’automobiles, et s’installent sur la plage. La plage est le grand lieu de réunion, l’endroit où chacun passe la revue de tous. Il y a bien encore du sable, des rochers et de l’eau, mais ces cabines, cette foule, ces maisons en style d’Exposition universelle juchées sur les falaises donnent je ne sais quel air artificiel à toute la nature environnante. Les rocs les plus farouches semblent des portants de théâtre, et l’on croirait la mer peinte, avec le ciel, sur une toile de fond.

L’ÉGLISE DE LÉZARDRIEUX.

La côte normande a ainsi, maintenant, son prolongement en Bretagne. On peut prévoir le jour où des casinos seront installés à la pointe du Raz et à Penmarch, parmi les villas parisiennes et les maisons mauresques. Bientôt, toute la presqu’île sera cernée, et la villégiature d’été aura ses positions parallèles à la ligne des récifs qui hérissent la mer. Tout ce monde des baigneurs a pris possession des plages et des routes qui les desservent.

Parfois, sur cette grande route devenue banale, un être étrange apparaît. C’est quelque vieille femme, harassée de fatigue, qui se traîne, appuyée sur un bâton et tâtant le mur. La voici encore, qui s’est laissée tomber sur les marches de granit d’un calvaire. Les promeneurs passent devant elle sans s’arrêter, peut-être sans la voir. Pourtant il n’est pas de plus poignante, de