Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/268

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plus émouvante apparition. Ah ! la triste vieille ! qu’elle est terrible et expressive dans sa décrépitude inconsciente ! Vêtue de noir, d’un noir roussi et verdi par le soleil et par la pluie, des sabots aux pieds, et sur la tête une coiffe blanche, lavée et empesée quand même par ses maigres mains tremblantes, elle apparaît comme une statue des temps anciens. Elle n’aurait vraiment rien de commun avec nous tous qui passons devant elle, si quelques-uns ne se sentaient tout à coup émus par je ne sais quel ressouvenir atavique en l’apercevant. Cette mendiante, qui meurt de faim et de fatigue, qui penche vers le sol une face osseuse, plus usée que les pierres du calvaire, qui lève parfois vers le passant des yeux presque éteints où il y a encore une pure lueur bleue de ciel et de mer, cette vieille mendiante est une aïeule. Elle vient du fond du passé avec son vêtement noir roussi et verdi, avec sa coiffe restée blanche, immaculée, et qui s’envole encore, qui palpite au vent, au-dessus de la pauvre tête desséchée, du visage couleur de terre. Elle a cinq cents ans, elle a mille ans, que sais-je ? elle est la sœur des femmes gothiques sculptées aux porches obscurs des cathédrales, elle date d’avant les sculptures. D’où surgit-elle donc sur cette route de promenade, parmi les bicyclistes ? nul ne sait d’où elle sort, nul ne la verra disparaître. Au soir, elle tournera l’angle d’une muraille, elle suivra la pente d’un sentier et s’évanouira comme une ombre parmi les ombres.

UNE BRETONNE DE SAINT-BRIEUC.

Si vous voulez, non pas la retrouver dans la retraite où elle va s’enfouir, mais vous perdre au pays où elle se perd, quittez, aux heures du matin ou du crépuscule, votre villa, votre plage, votre route, tournez aussi l’angle de la muraille, suivez la pente du sentier : vous allez connaître un pays d’enchantement et de sortilèges, où il n’y a que la nature pour sorcière et pour fée.

En quelques pas, les dernières maisons quittées, les premiers champs traversés, des silhouettes d’arbres semblent faire des signaux au promeneur solitaire. Des ormeaux tortillards sortent des haies au-dessus des talus, des fossés, se penchent, se courbent, se cassent en zigzags, rampent, se dressent en silhouettes qui regardent de tous côtés, qui épient, qui chuchotent, lorsque le vent rebrousse leurs fouilles. Je réponds à leurs invites, je vais vers eux, je descends au sentier creux qu’ils bordent, et me voilà bientôt parmi le lacis des chemins pierreux, sous les branches entre-croisées.

Les arbres, au long de ces chemins, de ces sentiers, au bord des champs, se multiplient, donnent l’illusion d’une forêt. Les feuillages deviennent plus noirs. Les troncs sont blancs, gris, violacés, comme les pierres. Auprès d’eux, précisément, semblables à eux, des pierres verdies, étoilées de parasites, blocs de ro-