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V. — Le Pays de Léon.


Le château du Taureau. — La Chalotais, les derniers Montagnards, Blanqui. — Morlaix. — Le viaduc. — L’histoire. — La maison de la duchesse Anne.


Pour gagner de Plougasnou, par mer, l’embouchure de la rivière de Morlaix, qui sépare le pays de Tréguier du pays de Léon, il faut contourner les côtes entre de nombreux récifs, louvoyer vers l’ouest, passer en vue de Primel, de Diben, virer vers le sud en avant de la petite anse de Penantré, laisser sur la gauche le petit port de Kerdies. On est dans la rade, on va entrer dans la rivière, on peut aborder au château du Taureau.

Le château du Taureau est bâti sur un rocher, à l’embouchure de la rivière d’où, avec l’artillerie moderne, il pourrait battre toutes les côtes, depuis la pointe de Primel jusqu’à Roscoff, et balayer les chapelets d’îlots qui émergent de toutes parts. Mais ce n’est pas contre la côte que le feu du Taureau a été dirigé, c’est contre les bâtiments anglais qui menaçaient Morlaix. Les bourgeois de la ville l’édifièrent à leurs frais en 1542, pour protéger leurs commerces et leurs maisons, et ils y entretinrent garnison en vertu de leur privilège. Cela dura jusqu’en 1660. Louis XIV fit alors du fort une prison d’État où furent enfermés, par la suite : en 1765, La Chalotais, procureur de Rennes, dénonciateur des Jésuites ; en 1795, les derniers Montagnards, Romme, Soubrany, Bourbotte, qui s’y poignardèrent pour échapper à l’échafaud ; en 1871, Auguste Blanqui qui y écrivit le magnifique poème de l’Éternité par les astres.

Le vieil avant-poste, gardien de Morlaix, n’a pas changé de physionomie. C’est un rocher sur un rocher, une lourde bâtisse oblongue, construite d’après de savantes combinaisons d’angles, de calculs de secteurs, qui avance vers le nord son éperon farouche. Bien qu’il soit aujourd’hui déclassé, on y voit encore des batteries pour artillerie lourde à feux rasants qui décèlent l’art de Vauban, et des créneaux armés de vieilles pièces aux armes de Bretagne. La tour ronde, en forme de donjon, porte les traces d’une reconstruction du xviie siècle. Un pont-levis au nord, auquel on accède par trois marches, en choisissant le moment où l’eau soulève la barque à niveau des pierres, mène à l’intérieur, au premier poste, à l’étroite cour où il y a une citerne, des casemates, des logis de soldats. Un escalier conduit à un vestibule glacial. Une porte couleur de rouille, des marches encore, puis des portes ouvrant sur des chambres, des cachots voûtés, aux murailles humides sécrétant le salpêtre. Le froid sévit, la lumière pénètre à peine dans ces réduits où furent logés les prisonniers d’État. Ils

LE VIADUC DE MORLAIX.