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le linge ; quand on a vu ce monde, et que du Pont tournant ou du cours d’Ajot, on a encore une fois exploré l’immensité de la rade, il faut avouer que l’on n’a pas grand goût à chercher l’église et à découvrir les quatre statues.

Il y a pourtant plus d’une église à Brest : il y en a quatre, mais l’église Saint-Louis est la seule intéressante. Et encore ! Elle se dresse contre l’Hôtel de Ville, près d’un marché couvert. Sa tour cylindrique a été comparée par un chroniqueur facétieux à une « clarinette montée sur une lyre, accostée de deux métronomes. » Son maître-autel est orné de coquillages. Du Couëdic y repose sous un cénotaphe en pierre noire. Et les quatre statues ? En voici toujours deux, très jolies, de Coysevox, au cours d’Ajot : Neptune et l’Abondance.

FEMMES D’OUESSANT.

Ni le commerce, ni l’industrie ne sont très importants à Brest. La vie, cependant, y est très chère, comme au Havre, à Dunkerque, à Cherbourg. Brest est une colonie de fonctionnaires avec une population flottante de navigateurs, d’étrangers, qui se montrent accommodants pour la subsistance et le gîte. L’hôtel où je suis descendu au hasard, regorgeant de monde, décoré de plantes vertes et de fleurs, agité par un personnel de maîtres d’hôtel cravatés de blanc qui dirigent une escouade de serveurs, est bien l’image du grossier trompe-l’œil et de la vaine apparence : tout ce qui est apporté sur la table est immangeable, a le goût du graillon ou de l’eau. C’est peut-être mieux ailleurs, et j’ai eu un mauvais numéro à la loterie. N’importe ! Sauvons-nous vite ! Regagnons les vieux bourgs bretons pour retrouver le gîte sûr et la cuisine sincère.

LE PORT DU CONQUET.

En voiture pour la Pointe Saint-Mathieu et le Conquet, puis en bateau pour Ouessant. Saint-Mathieu n’est qu’un hameau, mais la vue y est admirable, sur le plein de l’Atlantique. Ce qui reste de l’abbayese dresse sur la falaise comme le décor pittoresque du passé. Enfin, c’est le souvenir des combats maritimes qui ont tonné là, sur ce champ de bataille mouvant, la Belle Poule et la Surveillante victorieuses, le Vengeur vaincu, disparaissant avec son équipage acclamant la Patrie et la République. Le village du Conquet est entouré des plus imposantes falaises. De la presqu’île de Kermorvan, la vue, lorsque l’air est transparent, s’étend sur tout le groupe des îles, jusqu’à Ouessant.

Mon départ se fait du Conquet, au petit matin, dans le jour trouble, sous la pluie et le vent. Le bateau à vapeur m’emporte avec quelques Ouessantines, des gens du Conquet, le facteur et les gendarmes en tournée. La mer est mauvaise dans le chenal du Four, le pont est ruisselant de l’eau des nuages et de l’eau de la mer. Mais quoi ! mieux vaut encore rester là, sous le manteau et le capuchon, que de descendre dans le bateau. Les femmes d’Ouessant chantent sous leurs parapluies. Je ne chante pas, mais je les écoute chanter, et le temps passe. D’ailleurs, un coin de ciel bleu apparaît, la pluie diminue, le temps s’éclaircit, et le spectacle que je découvre est véritablement extraordinaire. Nous ne sommes pas seulement sur l’eau, nous sommes parmi les rochers, les uns énormes, d’autres au ras de la vague. Partout des pierres, à croire que l’on