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volcan. Il en résulte que l’éruption de la montagne Pelée n’offre aucun danger. Ce volcan n’a jamais lancé que de la boue et des cendres.

« Prêchotins, mes amis, dormez tranquilles ! »

Le lendemain même du jour où le journal affichait tant de confiance, Saint-Pierre disparaissait !

ÉQUIPE DE SAUVETEURS DANS LES RUINES DE SAINT-PIERRE. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Jamais on ne saura rien de précis sur la destruction de Saint-Pierre, puisque pas un seul des habitants de la ville témoin de la catastrophe n’a survécu. Il est difficile de se faire une idée d’un cataclysme ensevelissant plus de trente mille personnes, rasant une cité entière, détruisant tout sur son passage et changeant, en quelques secondes, une contrée vivante et habitée en un épouvantable désert ! Seul, M. Ellery Scott, Fun des officiers du Roraïma, l’unique navire qui n’ait pas été complètement détruit en rade de Saint-Pierre, a vu de près l’épouvantable catastrophe et en a fait un récit poignant :

« Le jour commençait à poindre, lorsque le 8 mai, au matin, la Martinique fut signalée. Nous venions de traverser un orage, et il était environ six heures lorsque nous jetâmes l’ancre en vue du débarcadère de la place Bertin. Quand l’agent vint à bord avec les chalands et les gabariers, il nous dit que la montagne Pelée faisait des siennes depuis le samedi et que jusque dans Saint-Pierre il était tombé une forte pluie de cendres chaudes. Cependant le volcan paraissait apaisé, et les gabariers se mirent vaillamment au travail.

« Il y avait à l’ancre à côté de nous, dans la rade, environ dix-huit vapeurs ou caboteurs, dont l’un était un navire français du port de Nantes, le Tamaya, capitaine Moritz ou Maurice, sans compter quatre grands voiliers. Le steamer anglais Roddam était mouillé tout près de nous.

« Il se produisit alors un singulier phénomène, comme une sorte de trépidation de l’atmosphère, et j’eus la sensation d’avoir été bousculé par une main invisible. Immédiatement, quelqu’un s’écria auprès de moi :

« — Grand Dieu ! regardez.

« Il avait les yeux fixés sur la montagne Pelée, et les regards de tous prirent la même direction. Ce que je vis, je suis impuissant à le décrire, mais ma première pensée fut que c’était la fin du monde. On aurait dit que tout ce qu’il y a de dynamite dans l’univers venait de faire sauter la montagne.

« Une immense colonne de flammes s’éleva droit dans l’air, puis, s’élargissant, sembla crouler sur nous du haut du ciel. Je courus alors, avec notre second, Moxley, et quelques hommes vers la pointe d’avant pour essayer de lever l’ancre. En passant, j’entendis le capitaine donner des ordres, et je vis Mac Fear, le mécanicien, descendre précipitamment dans l’entrepont.

« Au moment où nous arrivions à l’avant, la terrible trombe était sur nous. Une véritable avalanche de pierres incandescentes, de fange bouillante et de gouttes de feu s’abattit sur le bâtiment comme une volée de mitraille. En même temps, on aurait dit que toute l’eau du port se ramassait en bloc, avec un fracas épouvantable, pour se ruer à l’assaut des navires qui, soulevés par l’énorme vague, semblèrent capoter et couler à pic. Quand le raz de marée atteignit le Roraïma, ce fut un effroyable coup de tangage, et tout fut rasé sur le pont : les mâts, les cheminées, les embarcations, tout. Il y avait une manche à air à ma portée : je m’y accrochai de toutes mes forces, ce qui faillit me coûter la vie, car la force du flot fit entrer mon corps dans l’orifice. Deux gabariers me dégagèrent et m’entraînèrent dans l’entrepont. Je restai là quelques instants, à moitié évanoui, pendant que les projectiles et le feu faisaient rage au-dessus de moi.

« De temps en temps, un matelot carbonisé dégringolait, avec des hurlements atroces, à travers l’écoutille et expirait en bas : je fus bientôt enseveli sous un monceau de cadavres. Quelqu’un pourtant m’ayant relevé, je remontai sur le pont et je me mis à essayer de sauver les blessés qui étaient tous étendus çà et là