Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/504

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trouver là le décor d’existence de quelque Sainte Famille, la Vierge couchée, le vieux Joseph et l’enfant Jésus, les yeux bien éveillés avant d’aller courir le monde. Tisserand ou menuisier, le métier aurait peu importé au naïf et scrupuleux artiste, et il aurait très bien mêlé le souvenir de la crèche de Bethléem à cette installation de Nazareth.

Lorsque je dis aux deux tisserands que je viens voir la chapelle Sainte-Barbe, le vieux se lève, décroche une clef, m’invite à le suivre, Un cochon se lève de l’herbe, nous accompagne en agitant les oreilles et la queue jusqu’au beffroi dressé sur quatre piliers de granit, en face de la chaumière. Sous la toiture, une cloche est suspendue, que les pèlerins viennent sonner au jour du pardon de sainte Barbe. Et le beffroi franchi, c’est un spectacle extraordinaire. Sur la pente à pic de la colline qui descend à l’Ellé, toute une architecture est installée, des escaliers, des balustrades, un pont de pierre dont l’arche hardie enjambe d’un rocher à l’autre et conduit à une première chapelle qui est la chapelle Saint-Bernard, bâtie sur un promontoire de roc. Au-dessous, c’est l’abîme, et le vieux saint Joseph me montre avec un doux sourire des anneaux de fer scellés tout autour du mur de la chapelle. C’est un jeu, le jeu des anneaux, pour les hardis garçons du pays, qui s’entêtent, le jour de la fête, à faire le tour de l’édifice ainsi suspendus au-dessus du vide, en se cramponnant des mains aux rondelles de fer, et des pieds aux interstices de la pierre, « Il y a eu parfois des accidents, me dit le bonhomme, il est arrivé qu’un anneau s’est descellé, que le garçon a dû lâcher prise et s’en aller rouler par les pierres et les verdures qui, fort heureusement, amortissaient et arrêtaient sa chute. » Je repasse le pont de pierre pour descendre vers la seconde chapelle, qui est Sainte-Barbe. Rien d’intéressant à l’intérieur. Ce qui est imprévu, c’est la construction elle-même du joli édifice de 1489 sur une étroite plate-forme de roc au flanc d’un ravin, au-dessus de l’Ellé qui coule en torrent à une centaine de mètres de profondeur, L’emplacement est si étroit qu’il a été impossible de placer l’autel au chevet pour l’orienter selon le rite chrétien, et qu’il a fallu l’adosser à l’un des côtés latéraux de la chapelle. Qui a bâti, comme par gageure, cette chapelle sur cette pente ? C’est, dit la légende, un seigneur chassant dans le ravin, qui fut épouvanté par un orage ravageant le sommet de la colline et précipitant les rochers. Il fit le vœu d’élever une chapelle à sainte Barbe à l’endroit où s’arrêterait un énorme bloc qui dégringolait vers lui. Le rocher s’arrêta et c’est sur sa pointe que fut bâtie la chapelle. Je quitte ce lieu vertigineux, non sans avoir regardé longtemps, d’une terrasse naturelle, un des plus beaux et des plus vastes paysages de collines que j’aie vus, de grandes lignes, de couleurs splendides. Je remonte vers le beffroi et vais revoir les métiers des tisserands, les deux vaches, la Vierge malade, le doux saint Joseph et l’enfant Jésus, qui n’est pas descendu encore discuter avec les prêtres et les marchands du Faouët, et qui attend patiemment le jour où son destin le fera mettre en marche.


(À suivre.) Gustave Geffroy.



GUÉMENÉ : UNE RANGÉE DE MAISONS S’AVANCE COMME UN PROMONTOIRE.