tout le monde doit les avoir connues, où le néant de tout vous apparaît accablant, irrémédiable. C’est comme si la nature se révélait subitement illusoire et vide, avec sa terre, ses champs, ses verdures, son ciel bleu, son soleil, son énigme monotone et insupportable. Après avoir admiré le beau paysage et goûté l’ivresse de la solitude, j’eus subitement cette sensation de néant que je viens de dire. Je ne veux pas retrouver ici toutes les réflexions qui vinrent m’assaillir, alors que je restais appuyé au petit mur de terre. Ceux qui n’ont jamais senti cela ne me comprendraient pas. Ceux qui l’ont senti, n’ont qu’à se souvenir de la manière dont leur vie s’évoquait, avec ses alternatives brûlantes et froides. Comment ! c’est là le passé, qui tient en cette rapide lueur de mémoire, et c’est là, l’avenir, que l’on voit si bref devant soi ! Était-ce l’atmosphère du pays ? ou la remontée de la race contemplative qui se faisait en moi ? Je connus la mélancolie sans tristesse, le vertige sans déraison, cette sorte d’étonnement de vivre qui est du rêve tout éveillé, à vous faire douter de votre existence, et de toute l’existence. Qu’est-ce que ce paysage ? qu’est-ce que cette chapelle fermée ? et qu’est-ce que je fais là ? pourquoi attendre cette clef gardée par un curé ? pourquoi entrer dans cette chapelle vide ? Tout ce qui vous entoure, à ces moments de pensée, vous semble inexplicable et inutile. Je vis déboucher d’un chemin une vache noire qui allait d’un pas lent, la tête ballottée de côté et d’autre, et derrière, une vieille du même noir que la vache, une vieille usée et sans âge comme le Temps, et cela passa sans faire de bruit, comme des ombres qui sortaient de la nuit et qui allaient y rentrer. Puis le voiturier parut en haut du chemin, toujours courant, apportant une grande, une énorme clef, que je voyais, de loin, presque aussi grande que l’homme. Il me sembla que celui-ci était parti depuis cent ans. J’entrai dans la chapelle.
C’est le flamboiement de la couleur dans la lumière. La maîtresse vitre raconte la Passion, l’entrée à Jérusalem, le tribunal de Caïphe, la consultation de Pilate, le baiser de Judas, la Cène où Jean dort sur l’épaule de son maître. Le tympan de l’ogive fait resplendir le Jugement dernier et le Triomphe du Christ. Il y a six autres fenêtres. Trois sont consacrées au Christ et à la Vierge, groupent l’Annonciation, la Nativité, les Bergers, les Mages, le Baptême par Jean-Baptiste, la Mort de la Vierge. Les trois autres concernent saint Laurent sur son gril, saint Jacques en pèlerin, saint Éloi en maréchal-ferrant, tout cela du bel art du